17. Carretera Austral 3e partie (Parc Pumalin)

17. Carretera Austral 3e partie (Parc Pumalin)

Jeudi 28 mars. La Carretera Austral passe au milieu du Parc Pumalin. On nous y a promis de jolies balades. Trois jours entre montagnes et volcans couverts d’une végétation abondante. Nous sommes dans l’une des régions les plus arrosées du monde… Trois jours où les prévisions météo vont à nouveau dicter le planning de nos journées. Bon, ce n’est pas très bien parti, premier jour, départ avec une heure de retard… sous le soleil et dans la chaleur ! Mais bien vite, le ciel se couvre et c’est sous un ciel bien gris que nous arrivons au départ de la rando pour le volcan Chaiten. Sur le parking : trois vélos ! Ce sont les Suisses croisés en sortant de Villa O’Higgins, tout au sud de la Carretera Austral ! Ils ont été vers le sud, puis revenus au nord en ferry pour retourner vers le sud. Nous ne sommes pas les seuls à faire des tours et des détours !

Nous attaquons l’ascension du volcan. Sur ses flancs, beaucoup de vert, des fougères géantes, des fuchsias, quelques touches de rose et d’orange. Puis la forêt se fait moins dense, ne reste que quelques troncs brûlés par la nuée ardente de 2008. Nous arrivons au bord de la caldeira. Une montagne lunaire se dresse face à nous. Ce sont les deux cônes du volcan dont des gaz s’échappent des flancs. C’est puissant.

Redescente dans la forêt humide tempérée… elle porte bien son nom, une petite pluie fine se met à tomber… Les enfants galopent, mes genoux rouillés couinent. Le déluge nous tombe dessus en arrivant au parking.

Ce soir grand luxe, nous avons trois options de camping (tous fermés aux véhicules), le premier, conseillé par un garde-parc, il y aurait un abri suffisamment grand pour accueillir notre tente, le deuxième, ce serait le plus beau de la carretera austral, et le troisième que nous n’atteindrions pas avant la nuit. Nous passons le premier, pour arriver au deuxième : des petits abris dans leur cocon privé au bord du lac. C’est très minion, mais il est totalement impossible d’y planter notre tente. Les abris sont trop petits et il n’y a aucun espace autour… Nous faisons demi-tour pour revenir au premier. Un immense camping avec d’immenses pelouses ! La tente ne rentre pas entre les tables sous l’abri, mais il est parfait pour s’étaler et tenter de faire sécher toutes nos affaires, et la pelouse, bien que complètement détrempée, est très bien aussi.

pumalin chaiten

Vendredi 29 mars. La brume se lève avec l’arrivée du soleil. Trois kilomètres de vélos à travers la forêt pour sortir du camping. On nous a parlé d’une source d’eau chaude sur le bord de la route, dans le fossé, au pied d’un arbre penché. Nous la passons avec l’idée de revenir s’y baigner en fin de journée. Séchage de la tente sur le bord de la route et départ à pied pour le lago torneador. Sentier taillé à la machette dans la forêt humide. Les machettes ont aussi taillé des milliers de marches, escaliers à tendance échelles. La pluie arrive plus vite que prévu. Nous passons des gorges étroites, face à des cascades. Toujours plus de fougères et lianes, mousses et lichens. Le lac apparaît, caché en haut de la montagne. La pluie s’intensifie. Dans la descente, le sentier s’est transformé en ruisseau, les marches en piscine. Nous arrivons trempés aux vélos. Vite, direction le camping et ses abris salvateurs ! Il est fermé et vide, nous en profitons pour ne pas respecter les règles : nous campons sur la pelouse (si belle!) et mettons la musique à fond ! Je fais écouter aux enfants, celle qui m’a fait monter bien des côtes. Spécial dédicace à Rodrigo et Grabriela. Lors d’un autre voyage, le son de vos guitares m’a fait grimper les cols plus vite que mon binôme ! Leïla, nous dit qu’elle, quand elle veut nous doubler dans les montées, elle arrête la danseuse, s’assoit sur sa selle, met la vitesse 2 et ziou !

Samedi 30 mars. Lever sous la pluie, départ sous la pluie, balade aux milieux d’arbres millénaires sous la pluie, arrivés au port avec l’arrêt de la pluie. Ouf, c’est plus facile pour trouver des véhicules où mettre nos vélos. Nous avons deux ferrys qui s’enchaînent pour poursuivre la route vers le nord. Entre les deux, 10 km de piste, qui montent puis descendent, pas insurmontables, mais le temps entre les deux bateaux n’est pas suffisant pour les parcourir à vélos. Nous préférons anticiper l’action des employés du ferry et partons à la recherche de pick-up et autres gros véhicules pouvant transporter tout notre barda. Flo dégote deux pick-up et un camion de voyageurs allemands, parfait !

Miracle, nous arrivons sous le soleil à Hornopiren ! Sur la place, une jeune femme nous apostrophe : « vous dormez où ce soir ?  » et la voilà qui nous invite à venir planter la tente dans le jardin de sa mère et à profiter de la douche chaude. Tip, top ! Le lendemain c’est pâques, le lapin Daniela a apporté des œufs aux enfants. Pour les parents, elle a fait tourner la machine à laver et mis les habits dans le séchoir. C’est la fête ! Nous repartons propre et sec (sauf les pieds, parce que j’ai refusé de prendre ses chaussures!).

parc pumalin

Péninsule de Hornopiren. Nous longeons la côte sous le ciel bleu. C’est magnifique ! Dauphins et lions de mer profitent du calme et du soleil. Les chantiers prennent leur temps pour construire les bateaux de pêche en bois. Les vaches broutent tranquillement. Les gens d’ici apprécient leur tranquillité. Ils ne veulent surtout pas d’un travail à horaires fixes comme ceux proposés dans les fermes à saumon. Un peu de pêche, à leur rythme, suffit pour vivre. C’est paisible. La gardienne nous ouvre les portes de la salle paroissiale pour la nuit.


Notre route devait passer par Cochamo, petit paradis pour la randonnée et l’escalade. Nous n’y sommes pas allés lors de notre trajet vers le sud pour cause de pluies diluviennes, nous n’irons pas sur notre route vers le nord pour cause… de pluies diluviennes. Marre de l’eau. C’est acté, nous filons à Puerto Montt et Santiago où nous attendent Jorge et Galia. Il paraît qu’il y fait plus de 30º, un truc de fou !!

Puerto Montt. Le trafic s’intensifie à l’approche de la ville. La route, étroite, longe la côte. Petites maisons en contrebas de la route, coincées entre l’asphalte et le rivage. Heureusement, assez vite nous attrapons la piste cyclable qui nous mène tout droit au terminal de bus ou nous espérons embarquer direction Santiago. En arrivant, une petite famille nous interpelle. La maman s’exclame « je vous ai vu hier sur internet ! ». Cyclo elle aussi, elle est contente de pouvoir présenter à ses enfants des enfants qui pédalent au long cours.

Les bus ne veulent pas de nous ce soir, soit ils sont pleins, soit ils n’ont pas de place pour les vélos. Nous comprenons qu’il ne faut pas suivre les conseils et sauter dans un bus au dernier moment. Nous décidons de réserver des places pour un bus du lendemain soir et nous arriverons tôt pour forcer le passage des vélos en soute. Il fait nuit, mais pour une fois nous ne sommes pas inquiets. Nous savons où dormir, direction l’hôtel où nous étions quelques mois plus tôt.

Journée urbaine en attendant le départ du bus. La pluie nous a rattrapés. Nous filons au terminal pour lui échapper. Flo a le droit d’installer lui-même les vélos en soute. Nous sommes ainsi plus serein.

Mercredi 3 avril. Santiago, arrivée au petit matin. Remonter les vélos. Partir sur les pistes cyclables, étroites mais pratiques. Perdre une pédale. Flo prend mon vélo et poursuit avec une jambe. Je prends le sien. Mais comment fait-il pour rester assis sur cette selle ??

Sur la route, une femme nous arrête : « Je vous ai vu il y a 5 minutes sur internet et vous êtes là ! C’est incroyable ! ».

Arrivée chez Jorge et Galia. Depuis notre passage, une piscine a été creusée dans leur jardin. Mais il a donc fait si chaud ici !! Où étions-nous ces derniers mois ??

Quelques jours chez les amis. Repos, repas, profiter d’eux, maintenance et réparation des vélos. Leïla retrouve Laura avec grand plaisir. Les cloches de pâques passent à nouveau dans le jardin. Et puis il est temps de se replonger dans les cartes, étudier les trajets possibles pour se rendre en Bolivie, se décider pour aller du côté argentin et réserver des bus pour Salta.

16. Carretera Austral 2e partie (Cerro Castillo > Chaiten)

16. Carretera Austral 2e partie (Cerro Castillo > Chaiten)

Samedi 9 mars. Réveil sous le soleil et dans le froid. La neige a poudré les sommets autour de nous. C’est beau!
Les enfants sont en forme. Ils attaquent la fameuse côte du diable comme des chefs! Pause photos et ça y’est nous les perdons de vue. Heureusement qu’ils avaient ordre de s’arrêter au prochain carrefour,10km plus loin, sinon nous étions bon pour rejoindre Coyhaique dans la journée! Célestin discute avec un auto-stoppeur en nous attendant, très fière de comprendre et se faire comprendre en espagnol. Le reste de la côte ne pose pas de soucis. Ensuite c’est la descente de l’ange, puis nouvelle côtelette et camping Conaf, le fameux rempli de chenilles. Il est tôt, nous préférons poursuivre, nous éloigner des bestioles, descendre et tenter de gagner quelques degrés. C’était presque gagné… jusqu’à ce qu’une crevaison nous freine dans notre élan et nous fasse arriver un peu tard au bord de la rivière à El Blanco…

Coyhaique. Ce devait être quelques jours tranquilles, citadins, à manger des glaces et profiter de la petite famille qui nous accueille : Flo, Nicolas, Samuel et Tomas… Au Chili, c’est la rentrée des classes après les grandes vacances d’été, et comme chez nous, retourner à l’école c’est retrouver les copains… et les microbes! Humm, le bonheur de la gastro, nous y passons tous les uns après les autres… avec la petite pluie qui l’accompagne, il nous faut toute l’énergie et les sourires de Flo, Nicolas et des enfants pour surmonter tout ça ! Flo et Nico sont hyper investis sur le territoire et pour le développement du vélo comme mode de déplacement urbain. Le logo de leur asso : un vélo avec un flocon de neige pour roue! Viva Cicleayque!

Samedi 16 mars. Florent rechute dans la gastro, mais malgré tout nous décidons de partir. Avant de quitter la ville, il nous faut changer la boîte de pédalier de Leila. Un couple de vénézuéliens s’occupe de nous. Comme beaucoup de leurs compatriotes, ils ont migré pour chercher du travail ailleurs. Pique-nique sur la place centrale à 15h30, on ira dormir au camping à la sortie de la ville. Sauf que. Sauf que le premier est ferme et nous met dehors et le deuxième n’a pas d’eau. Nous traversons la rivière pour aller chercher un bout de prairie, quand une voiture s’arrête. Le conducteur nous laisse les clefs de son terrain ! Ça monte sec pour y arriver, mais il y a un point d’eau et nous pouvons planter la tente à l’abri du vent. Nous n’aurons qu’à laisser les clefs dans le barbecue le lendemain.
21h. Ça ronfle autour de moi, tout le monde est HS. Surtout Flo et Leïla. Les jours à venir, la météo annonce pluie, vent, voir neige….

Dimanche 17 mars. Peu de véhicules. Nous avons pris la piste de ripio. Mais beaucoup de camionnettes vont chercher du bois. L’hiver approcherait-il ? A Villa Ortega, Alicia nous ouvre une cabane pour le prix du camping. Ses amis nous offrent du chocolat aux smarties et du turron. Célestin : « Depuis le temps que je vois ce chocolat dans les magasins et que je me demande ce que c’est… Par contre, attention maman avec le turron, je ne crois pas avoir vu de poste de santé dans le village… »

Leïla a retrouvé la forme avec la fin du ripio : « Laisse-moi passer maman, maintenant que c’est goudronné, j’ai envie d’aller vite! ». C’est donc la pluie qui nous freine maintenant. Les éclaircies annoncées ont du mal à apparaître. Il fait humide, froid et nous nous réfugions dans les abris communs des campings, dans des cabanes. Journée pluie, journée école à côté du poêle.

21 mars. Premier jour de l’automne. Hier il pleuvait, demain il pleuvra, aujourd’hui il fait beau!!! C’est parti pour la côte de Queulat, celle qui a un gros logo danger sur notre carte… Arrivés en haut, les enfants s’exclament « C’est ça la cote! Mais c’était une côtelette! ». Une des côtelettes de la carretera austral… Celle-ci, il faut le dire, est asphaltée à la montée dans notre sens et en ripio a la descente, c’est plus facile pour nous… Et dans cette descente aux milles virages, nous croisons un couple de cyclos-grimpeurs alpins, Lara et Bruno : dans leurs sacoches, ils ont des mètres de cordes pour aller sur toutes les falaises qu’ils croisent!
Le ripio devient à demi-bétonnée. Drôle de route. Comme tout bon flemmard, nous préférons le béton à la piste de terre. Sauf que la bande de béton est  surélevée de 50 cm par rapport à la piste et qu’elle n’est pas bien large… Heureusement que le trafic n’est pas trop important!
La mer! Elle fume ?? Sources d’eau chaude pas loin… Des lions de mer sont en plein festin. L’énergie dépensée pour arracher des bouts de chair à l’énorme saumon est impressionnante ! Il leur faudra sans doute en chasser un autre (en voler à la saumonerie?) pour refaire le plein de force.
Arrivée sous la pluie à Puyuhuapi. Pique-nique à l’abri de l’eau, mais pas du vent. Ça caille. Tournée des campings. Déprime. Des tentes s’entassent dans un hangar. Sanitaires aux 4 vents. Pas les lieux idéaux pour se reposer. On nous a parlé d’une maison bleue. Même si elle n’est pas en haut de la colline, ça sonne bien. Nous y allons. Effectivement la musique était bonne, mais la place déjà prise. Dommage. Tour des cabanas. Comment un village peut-il en avoir autant? C’est pire qu’El Chalten, l’attrait touristique en moins. Nous finissons par trouver notre bonheur : un poêle, des lits et même de la place pour faire sécher nos affaires et sortir notre bazar!

Dimanche 24 mars. Le soleil sort, nous repartons. 15 minutes d’été indien, dans la côte, juste le temps de transpirer un peu et imaginer bientôt sortir les shorts. Cela restera du domaine de l’imaginaire… Route bordée de forêt humide, luxuriante. Fougères immenses, plantes à cabanes (trop grande pour faire des parapluies), mais forêt patagone. Nous ne sommes pas sous les tropiques quand même. Pas de circulation, du goudron, côtelettes gentillettes. Nous avançons bien. Leïla a la frite. Elle nous annonce avoir planté des patates pour l’année prochaine, pour avoir la pêche!
Le paysage s’ouvre. Les vaches meuglent dans les champs. Nous ne les avons jamais autant entendu. Est-ce l’heure de la traite? La Junta. C’est dimanche, jour de match de foot. Il parait que le fromage d’ici est très recherché (c’est aussi le seul de la Carretera austral). A la sortie du village, les vaches meuglent toujours. Tout d’un coup, brouhaha au bord de la route. C’est la foire aux bestiaux. Des centaines de veaux et génisses sont parqués par petits groupes en attendant d’être présentés à de potentiels acheteurs. Je comprends désormais les meuglements des vaches…
Le soleil est toujours là. Après cette petite pause, nous repartons, direction le pont de la rivière Palema. Un pick-up flanqué d’une remorque à vélo nous double et nous attend… au pont. C’est Christopher et Diego du Climbing hostel a Puerto Varas. On discute, ils nous offrent bananes et chocolat. A leur départ, nous faisons le tour du quartier pour trouver où planter la tente. De l’herbe verte nous tend les bras, proche de bicoques plus ou moins abandonnées. Nous toquons à l’une d’elle, personne. Une femme nous fait signe de loin et vient nous voir. Oui, nous pouvons camper, mais nous pouvons aussi dormir sous un toit. Et la voilà qui nous ouvre la maison où nous venions de toquer : lits, cuisinière et douche chaude. Royal!

Nous avions promis de belles parties de pêches à Célestin sur la Carretera Austral. Bon, c’est pas gagné, surtout avec les parents qu’il a… En arrivant chez Daniel, qui a ouvert son terrain aux cyclos de passages et loue deux chambres à ceux qui voudraient se mettre à l’abri, Célestin louche sur les cannes à pêches posées sur la terrasse. Hop, c’est parti, Daniel nous emmène pêcher. Échec, une puis deux lignes se coincent. Pour ça nous sommes experts. Les parents pour coincer, Célestin pour décoincer. Quant aux poissons, on va dire qu’ils sont mieux dans la rivière que dans notre assiette…

Leïla invente des poèmes : Quand je te vois j’ai le cœur qui bat, quand je t’écoute j’ai le cerveau en route, … Maintenant, il lui faut trouver la rime avec « quand je te parle » et elle pourra donner ses vers à son destinataire.
Elle s’interroge aussi : « Est-ce que Dieu ne s’occupe que des gens qui croient en lui?… ». « Un jour j’ai entendu un grand bruit dans la voiture, est-ce que c’était Dieu? ».
Tout le monde pense sur la route…

Mardi 26 mars. El Amarillo, 17h50. Nous arrivons à l’entrée du parc Pumalin. Le parc est fermé depuis 20 minutes. La garde-parc, obtuse, nous annonce que les campings également puisque si le parc est fermé, on ne peut pas aller jusqu’au camping. Élémentairement mon cher Watson. Effectivement, l’accès se fait par une piste qui passe par une magnifique pelouse de golfe fermée par une chaînette à 50cm du sol. C’est surréaliste !! Mais on ne passera pas. C’est la maîtresse qui nous accueillera sur la pelouse de l’école. Elle y loge avec son mari et ses deux enfants. Avec 4 autres élèves, ils constituent l’effectif de l’école. Pour s’occuper d’eux : une atsem, une cantinière, la maîtresse et son mari qui est chargé de mettre les bûches dans les poêles.

Mercredi 27 mars. Chaiten. Quand nous y étions passés il y a 12 ans, le village était encore plein des cendres du volcan qui était entré en éruption quelques années auparavant. Aujourd’hui, la ville est entièrement reconstruite. Nous y faisons des courses et allons nous poser au camping au bord de la mer. Ambiance de carte postale : coucher de soleil au large, lever de lune derrière les montagnes. Au petit matin, les dauphins surfent sur les vagues devant le camping. Les lumières du levant n’ont rien à envier à celles du couchant. Nous ne sommes pas les seuls à profiter du spectacle. Mathieu, Leïla, Agathe et Gabrielle, une autre famille française en profite aussi. Nos routes se croiseront à nouveau au milieu des cactus, mais ça c’est une autre histoire…

15. Massif Cerro Castillo – Traversée de Las Horquetas

15. Massif Cerro Castillo – Traversée de Las Horquetas

J1 – lundi 4 mars. Les enfants sont ravis, la randonnée commence par du stop pour rejoindre le point de départ ! Célestin qui a bien observé les façons de faire, a fabriqué un joli panneau, avec l’espoir de voyager à l’arrière d’un pick-up… Rapidement un premier pick-up s’arrête et nous dépose à mi-chemin, nous pouvons tous monter dans l’habitacle. Puis un deuxième nous emmène à destination. Il y a toujours de la place à l’intérieur… le voyage tap-cul ce sera pour une prochaine fois !

Nous arrivons un peu tard au départ. Un peu tard au vu de la réglementation locale… Interdiction de commencer le sentier après 13h, car les randonneurs n’auraient pas le temps de rejoindre avant la nuit la zone de campement obligatoire. Tant pis, on tente et on se cogne contre le jeune garde à l’entrée du parc. Bien évidemment, il nous dit que nous ne pouvons pas y aller et qu’il vaut mieux que nous campions à l’entrée et entamions la rando le lendemain. « Camper derrière le panneau « interdiction de camper ? », « oui c’est ça », « !?! ». Florent se lance dans une longue session d’amadouage… « C’est vous le chef, on va suivre vos conseils, mais bon quand même, on à l’habitude de marcher, puis au vu de la météo des prochains jours et du vent qui s’annonce, nous avons intérêt à avancer aujourd’hui, mais c’est vous qui nous dites ce que l’on doit faire, mais quand même je suis guide de randonnée et je sais de quoi mes enfants sont capables, bon, mais on va suivre vos conseils… ». Au bout d’une demi-heure, il nous laisse enfin passer. Nous partons assez vite, au cas où il ait subitement des remords et parte à notre poursuite pour nous faire faire demi-tour…

Nous remontons la vallée, pâturages aux tons bruns et oranges, comme brûlés par le soleil, comme une fin d’été… Les vaches, leurs veaux et le taureau nous regardent passer sans bouger. Traversée de rivière. zones marécageuses enherbées, nous entrons dans la forêt pour arriver à la tombée de la nuit à la zone de campement. Just in time !

J2. Nous nous réveillons sous les géants et leurs glaciers. Le sentier pour remonter au col passe par des forêts peuplées d’êtres étranges… longues barbes et masques sur les troncs….

Puis c’est la pierre, partout, dessus, dessous. Le vent souffle sur nous et nous trouvons la neige arrivés en haut. Les enfants se lancent dans des glissades sous le soleil. Pause pique-nique. Le vent forcit, le ciel se couvre, il fait bien fraite tout a coup… Descendre se mettre à l’abri dans la forêt et continuer jusqu’à y camper.

J3. Petite escapade matinale pour aller voir lac d’altitude. Quelques icebergs échappés du glacier flottent tranquillement. Célestin tente les ricochets, Leïla fait son yoga…

Départ pour un autre col, plus haut, vue plongeante sur le lac cerro castillo d’un côté, bleu profond, vallée du village et pampa au loin, de l’autre. Cours de glaciologie pour les enfants : pourquoi il ne faut pas se balader sous les séracs… De l’autre côté, en bas d’une descente bien raide, un panneau met en garde les randonneurs :  » ne pas passer par fort vent « . Ça va, aujourd’hui, nous ne nous sommes pas envolés, juste fait un peu chahuter ! Nous remontons vers notre dernier campement caché dans la forêt. Des dizaines de tentes jaunes occupent les lieux ! Mais que se passe-t-il ? Un mariage forestier ? Une ZAD ? Non, les élèves d’une école de commerce états-unienne venue faire leur séjour survie en Patagonie ! Très gentils, ils ont juste oublié qu’ils n’étaient pas tout seuls et devaient partager cet espace ouvert à tous…

J4. Dernière petite côte ce matin, un aller-retour pour aller voir un dernier petit lac en altitude. Il fait gris, humide. Leïla s’énerve  » Pourquoi on monte si on sait qu’on ne va rien voir ??? « . Pourquoi les enfants posent-ils toujours les bonnes questions… auxquelles nous ne voulons pas répondre….

Descente finale, nous regagnons des degrés. Retour au village, au camping et à la douche chaude !

Le lendemain, jour de pluie, il a neigé sur les sentiers que nous avons parcourus ces derniers jours…

14. Carretera Austral, 1ere partie

14. Carretera Austral, 1ere partie

Mercredi 14 février. Ça y’est c’est le départ, le vrai, sur la fameuse Carretera Austral. Le ripio est plutôt bon. Ça monte, ça descend, Leïla avance doucement, mais avec un grand sourire ! Nous commençons à croiser des cyclos. Et nous arrêtons pour la nuit près d’un refuge pour voyageur : une cabane ouverte avec de nombreux mots écrits sur le mur, comme souvent. L’un d’eux attire notre attention : « Cyclotherapy ». Le leitmotiv de cyclos espagnols rencontrés à Tbilissi en 2009 !

Le lendemain nous croisons de plus en plus de cyclos, les pauses s’enchaînent, on ne peut pas s’empêcher de discuter ! Et on a du mal à avancer… Ce n’est pas grave, nous arrivons tout de même jusque chez Laura et Jorge, le neveu de Daniel. Ils s’occupent d’une partie d’un des terrains de la plus grosse fortune du Chili, Luksic. Celui-ci irait de Puerto Rio Bravo à Villa O’Higgins, soit toutes les terres bordant la route sur près de 100km… Des superficies qui avec nos yeux d’européens nous semblent surréalistes ! Laura me demande si j’aimerai vivre ici. Elle s’ennuie. Vivre au village ça irait, mais ici, au milieu de rien, elle en a marre. Argentins, ils sont arrivés dans la région un peu par hasard. Un voyage, le camion qui casse, la pandémie qui ferme les frontières, obligés de trouver du boulot ici, et depuis ils sont restés. La paye est bonne et c’est le bazar en Argentine, alors autant profiter de la Patagonie…

Au-revoir rapide pour aller attraper notre premier ferry de la Carretera Austral. De l’autre côté du bras du fjord, une petite côte à la chilienne nous attend… Pavée sur une partie tellement raide que sinon la route partirait à chaque pluie… Une voix derrière moi « Maman, arrête-toi, j’ai un vrai problème. Je suis sur la 1 et la chaîne est sur la 3 ». La gaine du câble de dérailleur de Célestin vient de lâcher, au mauvais moment… Flo répare, puis on reprend la cote. Ça râle. « Mais il est ou le col ?? « , « De toute façon sur la carretera austral y’en a 1.000 des cols, ça sera toujours celui d’après !! « , « on veut gouteeerrrr ». Que l’on se rassure, le soir, une fois posés au bord de la rivière, les énergies sont vite revenues pour se lancer dans un grand chantier de construction !!

Samedi 17 février. Nous prenons la direction de Caleta Tortel, sous la pluie, sinon ça manquerait de typicité… Caleta Tortel, petit village sur pilotis en bord de fjord. Les premiers habitants s’y sont installés pour vivre de l’exploitation du bois. Il y a dû y avoir également de la pêche au vu des épaves de bateaux sur les rives. Un peu de tourisme aujourd’hui, mais la vie ne doit pas être simple, ne serait-ce que pour faire les courses ! Il faut être costaud pour changer la bouteille de gaz quand on habite à l’autre bout du village ! Nous passons la nuit au bord du rio Baker. Flo plante des petits bouts de bois pour vérifier que l’eau ne monte pas, en souvenir d’un réveil assez épique au bord du même fleuve (l’eau était alors montée dans la nuit suite à la rupture d’un barrage naturel et au petit matin nous nous étions retrouvés complètement entourés d’eau!).

Nous continuons la route. Les paysages sont grandioses. Grands par leur taille, grands par ce qu’ils donnent à voir et à ressentir. Montagnes, glaciers, lacs et rivières aux eaux turquoises. Célestin sort souvent la canne à pêche, mais ce qu’il préfère c’est construire des moyens pour pêcher avec fils, bouchons, bout de canette, etc… ! Peu avant Cochrane nous nous faisons rattraper par Sophie et Nico, deux jeunes français sur la route entre Alaska, Canada, USA et Patagonie, puis par Laure et François. Décidément que de français ici ! Pause pique-nique. Au passage d’une voiture Leïla s’exclame « Lento, wewon !  » (en français : doucement couillon!), elle voulait dire « Lento, hay huemul  » (doucement, il y a des huemuls (petits cervidés patagons).) Nous avons tous trouvé son erreur fort à propos…

21 février. Cochrane. Petite pause. Douche, lessive et école. A l’épicerie du village, les trailleuses et ponchos côtoient les avocats et les baskets fluo. On y trouve de tout! Leila y achète ses premiers bonbons (en espagnol). De retour au camping, elle les distribue aux cyclos. N’en ayant pas assez, elle fait tirer tout le monde à la courte paille. Au musée de la ville, un panneau explique la disparition des Tehuelcheces : maladie, génocide, acculturation. Enfin les mots sont écrits!

Nous partons pour un petit tour à pied sur les hauteurs du Rio Cochrane. Au camping à l’entrée du parc, un cyclo chilien nous interpelle : vous êtes LA famille française? Vous savez que tout le monde vous cherche sur internet? Et le voilà à nous montrer le groupe facebook de la carretera austral où les gens se donnent des nouvelles de nous. À notre insu! Certains savent peut-être mieux que nous où nous sommes! L’utile de la chose, c’est que lorsque qu’il nous demande si nous avons un message à faire passer, nous répondons : “dire aux automobilistes de ralentir quand ils voient des cyclistes”. Et ça fonctionne! Dans les jours qui suivent nous nous rendons compte que les gens ralentissent et nous saluent! Ça nous fait rire et ce n’est ma foi pas déplaisant. Après ce petit intermède, nous partons à la recherche des huemuls le long de la rivière Cochrane. Du plus petit des cervidés, nous ne verrons rien, du dénivelé, nous ferons, et de belles vue sur la rivière aux eaux turquoises, nous aurons!

24 février. Nous reprenons la route. Ça monte, ça descend, au milieu des glaciers, de rivières aux bleus toujours incroyables. Le ripio est plutôt bon, mais que de poussière! Les cyclos disparaissent dans des nuages trop minérales. Ça nous épuise. Tous. Vivement la pluie pour faire descendre tout ça!

Et puis c’est le temps d’une petite pause vertaco… Julie, Nacho et leurs enfants, de la vallée d’à côté de la nôtre, de Méaudre, sont en voyage sur les terres où ils ont vécues il y a quelques années. C’est drôle de se donner rendez-vous à l’autre bout du monde! Et c’est agréable de pouvoir passer du temps ensemble. Avec eux, nous partons sur les hauteurs de la vallée où nous campons, nous essayons d’aller pêcher lorsqu’un panneau nous barre la route : “ce lieu n’est pas disneyland, touristes vous n’êtes pas les bienvenus”, un piège photo nous filme. C’est assez violent. D’autant plus que nous sommes sur une piste publique… Le propriétaire, suisse, s’est un peu trop bien approprié le concept de propriété privée à la chilienne, bien loin de notre conception de la montagne libre… Qu’importe, nous faisons demi-tour et allons pêcher ailleurs. Célestin en profite pour en apprendre un peu plus sur la pêche à la mouche, mais n’a pas plus de succès…

27 février. En route pour Puerto Rio Tranquilo. Nouvelle petite pause tranquille. Camping au milieu des poules. Nous allons voir les cathédrales de marbres en kayak. Belles lumières matinales sur le lac et ces drôles de formations rocheuses. Florent renoue pour deux heures avec ses anciens amours. Les réflexes reviennent vite. Notre guide, en le regardant faire, s’essaye à la godille. Ce n’est pas très concluant…

Nous rencontrons, enfin, une autre famille française à vélo dont nous entendons parler depuis longtemps : Eleonor, Christophe, Mael et Lilia sont musiciens et voyagent… avec leurs instruments bien sur !: un (petit) violon, un trombone (d’étude en plastique), un violoncelle et un piano. Ils nous font bien rêver avec leurs projets de musique en montagne! (https://www.lesconcertsenbalade.com/)

1er mars. Retour sur la route. Le vent se lève, le ripio devient plus difficile, la poussière est toujours là, jusqu’à ce que la pluie arrive. C’est bien, moins de poussière. Mais ça mouille, et ça caille vite! Campement sous les arbres au bord de la rivière. Tout le monde se réfugie sous la tente pour manger. Réveil sous la pluie, il a neigé sur les montagnes qui nous entourent… Célestin nous fait visiter son exposition de dessins au sol. La visite était prévue à vélo, mais comme il y avait trop de virages serrés, nous la parcourons à pied. Départ. Nous allons demander de l’eau aux cabañas un peu plus loin. En voyant l’immense pré entouré de montagnes, les enfants se verraient bien vivre ici. Leïla y faire son camping à la ferme. Célestin précise que ce soit à la condition que les copains habitent à côté… sachant que la première habitation est à 20km, ça semble compromis. Dans le calme de la vallée, le porte-bagage avant de Flo casse, celui qui avait déjà une jambe de bois… Le vent se lève, de face, nous avions oublié ce que c’était, mais il reste gentil. Petit colu. Dans la descente, Leïla freine, mais ne s’arrête pas. Coup d’œil à une voiture qui la double, elle manque le virage, passe la zone de gravier, la flaque, la terre, visage à 10 cm d’un panneau et finit sa course dans l’herbe, sur ses deux roues. Championne de la maniabilité! Quelques kilomètres plus loin, nous reconnaissons le tronçon où je me suis faite renverser il y a 12 ans. Il y a désormais un des rares panneaux “Reduzcar velocidad” et du bien meilleur ripio. Mais ce doit être un hasard…

3 mars : fin du ripio. Houhou!! Nous arrivons en ville. Cerro Castillo. Gros bourg pas vraiment touristique, pas vraiment vivant, venté, mais coloré, étrange. Ce sera notre camp de base pour préparer notre petite traversée à pied du massif du même nom : Cerro Castillo.

13. Frontière des deux lacs. Argentine > Chili

13. Frontière des deux lacs. Argentine > Chili

Samedi 3 février. Ça y’est c’est le départ d’El Chalten ! Lever tôt, pour éviter le vent, mais dans le froid et l’humidité, brrr. A 10h , dernier passage à la boulangerie, le soleil se lève, le vent avec, de face, obvio ! Mais il nous laisse partir, plein nord, contourner le Fitz Roy et avoir un dernier regard plein de lumière sur ce géant. Nous avançons tranquillement, la rivière déborde parfois un peu sur la piste, et ça y’est nous arrivons au bord du lac del desierto.

Ce passage de frontière est un peu particulier. Il n’y a pas de route, deux lacs à traverser, un premier côté argentin pour nous, puis un deuxième côté chilien, et un sentier pour passer le col entre les deux. Un sentier longe le lac du désert, côté argentin, pour ceux qui ne voudraient pas prendre le bateau, pour ceux qui veulent profiter d’une belle balade et pour ceux qui arrivent trop tard dans la saison et n’ont pas d’autres choix que de marcher… C’est ce qui nous était arrivé il y a douze ans… Le sentier ne fait que 12 kilomètres, il nous avait alors fallu un jour et demi pour le parcourir à vélo, ou plutôt à pousser les vélos, car sur le chemin, il y avait troncs, ornières trop étroites pour les sacoches, des montées et descentes bien raides, passage de ruisseaux et zones marécageuses. Nous étions alors deux couples à s’entraider et, au bout du chemin, nous étions d’accord pour nous dire que nous n’étions pas trop de quatre pour nous épauler et éviter de craquer ! Comme il paraît que les cyclos rencontrent toujours les mêmes réjouissances et que nous aimons les bateaux, nous avons pris l’option lacustre. Alors que nous pensions prendre le bateau du lendemain, le soir même, à notre arrivée, une embarcation est sur le départ et accepte de nous prendre. On en profite en se disant que si l’on peut gagner un jour ce sera toujours ça de gagné… Car nous savons que si le passage du col ne nous effraie pas trop, la traversée du lac chilien, le lago O’Higgins peut être plus compliquée. Ce lac-ci subit davantage les assauts des vents patagons et la navigation est soumise à l’autorisation de la marine chilienne qui donne, ou non, son accord en fonction de la météo… Il arrive que les bateaux ne puissent pas traverser pendant plusieurs jours et nous avons a priori vu une fenêtre météo le surlendemain. Gagner du temps nous aidera à l’attraper! Alors ce soir nous dormons sur la pelouse de la douane argentine, avec un paquet d’autres voyageurs, cyclos ou randonneurs, en route, eux, pour le sud.

Dimanche 4 février. Célestin se réveille malade. Grosse fatigue, mal au ventre. Les gendarmes n’autorisent les voyageurs à ne passer qu’une nuit sur leur terrain. Malgré nos demandes, il nous faut partir. Après avoir fait les formalités de sortie d’Argentine, nous formons le convoi, car dès le début il faut pousser les vélos : Flo avec celui de Célestin, une corde pour aider Leila, et moi derrière. Très vite, nous laissons des vélos sur le bord pour les pousser à deux, on commence les aller-retours. Célestin s’allonge à chaque pause, incapable de pousser le sien, même sur le plat. Puis c’est le passage des rivières, tout défaire, passer les ponts de troncs vélo sur l’épaule, tout réarmer. Single entre les racines, passage de troncs et hornieres étroites. Célestin remonte en selle. On avait oublié combien ce chemin pouvait être difficile. Il faut dire qu’en sens inverse, à la descente, il ne faut pas pousser les vélos, et que nous en avions tellement bavé le long du lac du désert que nous avions oublié les difficultés qui précédaient!

Fin de journée, nous sortons de la forêt, le sentier devient piste, enfin nous arrivons au col, à la frontière ! Leïla nous dit “un bras en Argentine, un bras au Chili. Je veux rester en Argentine le plus longtemps possible, au Chili les côtes sont trop dures!”. En attendant, celle-ci, elle était pas mal! Ça aura été notre journée la plus courte en kilomètres et une des plus longues en temps : plus de 8h pour faire 9km, et encore nous nous sommes rattrapés sur les 4 derniers kilomètres de descente après la frontière pour rejoindre un endroit où  poser la tente!

Lundi 5 février. Départ avec l’espoir d’attraper un bateau pour traverser le lac dans la journée. Nous poursuivons la descente jusqu’au lac. Il fait beau. Ses eaux bleues azur nous tendent les bras. Avant le poste de douane un panneau fait rire les enfants “interdit d’entrer dans les légumes” en français dans le texte!

Le carabinier nous accueille pour les démarches d’entrées. A priori pas de bateaux aujourd’hui, peut-être mardi, peut-être jeudi, peut-être vendredi… Nous allons sur le quai, appréhender les lieux, pique-niquer, faire sécher tente et duvets, profiter du calme. Une argentine vient pêcher. Elle loge à l’auberge. Elle est arrivée hier et attend un bateau. Un allemand passe, il attend aussi. Peut-être mardi, peut-être jeudi, peut-être plus tard… Fin d’après-midi, toujours pas de bateau. Nous retournons sur une belle pelouse aperçue à notre arrivée. Un endroit superbe pour planter la tente. Balade au bord du lac et cueillette de groseilles à maquereau. Nous nous régalons! Une famille cochon vient nous rendre visite. Flo cherche l’endroit abrité du vent pour planter la tente. Ce sera sous des épicéas. On sent que des colons sont arrivés ici avec plantes et graines de chez eux : groseilles, menthe, épicéas, mélèzes, c’est rigolos de trouver toutes ces plantes ici.

Il se fait tard, les enfants sombrent dans le sommeil. Des pêcheurs de retour du lac passent devant nous et s’arrêtent “ce n’est pas possible de camper ici”, “comment ça? ». “Non, le seul endroit habilité est le camping au bout de la piste”. On essaye de négocier, les enfants dorment, Célestin est malade, on promet d’aller au camping le lendemain. Le pécheur-carabinier nous explique que toute la zone appartient à une seule famille et qu’il y a un accord avec cette famille : le camping sauvage est interdit et toutes les personnes de passage doivent aller au camping. D’autant plus qu’il est très dangereux de faire du camping sauvage : il y a des renards, des chutes d’arbres, des pumas, le danger des incendies, etc. Nous réprimons un sourire à l’annonce des renards et on tente de rassurer tout le monde en disant que nous ne faisons jamais de feu. Le carabinier accepte d’aller négocier avec son chef quand une voiture s’arrête et qu’une femme arrive… très en colère! Ça fait des heures qu’elle nous cherche, qu’ils font des allers-retours sur la piste pour nous trouver! Sa famille est propriétaire de la montagne, c’est interdit de faire du camping sauvage, nous sommes obligés d’aller au camping. Tout de suite. Le carabinier la calme en lui disant qu’il est en train de nous expliquer tout ça. Elle peut partir, il va s’occuper de nous. Une fois la voiture loin, il se tourne vers nous. “Maintenant qu’elle vous a vu, je ne peux plus rien faire, il va vous falloir tout ranger et aller au camping”. Entre-temps la nuit est tombée. Noire d’encre. Une petite voix se fait entendre sous la tente “On a pas le droit de camper ici? Il faut aller au camping?”. Les enfants comprennent très bien l’espagnol… Heureusement Célestin a pris un paracétamol une heure avant. On range tout, réarme les vélos et c’est parti pour les quelques kilomètres jusqu’au bout de la piste. Arrivée nocturne au camping, on y voit pas grand chose. On appréhende un peu. La dame nous accueille. Finalement bien plus détendue et souriante qu’une heure avant… Elle s’inquiète pour les enfants, pour Célestin surtout, et leur offre des gâteaux! Ouf, si il faut que l’on reste plusieurs jours ici, autant que cela soit en bonne entente avec les locaux!

Mardi 6 février. Nous sommes connus ici! La dame a passé son après-midi et sa soirée de la veille à aller voir les uns et les autres pour savoir qui nous auraient vu, qui sauraient où nous étions… Bonjour la réputation ! Mais tout cela est vite oublié, chacun se demandant surtout quand sera le prochain bateau… Il y en a un qui est arrivé tôt ce matin. Les passagers sont encore secoués par la navigation visiblement très agitée. Je vais voir le capitaine, il me dit que la marine a “fermé” le port et que dans tous les cas, même si il a l’autorisation de sortir, c’est lui qui décide ou non de traverser. Il semble lui aussi assez secoué. Et pourtant, le calme a l’air de régner sur le lac. Le vent est décidément bien facétieux dans ces contrées…

Mardi, mercredi, jeudi, comme tout le monde, nous attendons. Chaque jour de nouveaux voyageurs arrivent, et attendent.La petite phrase « Quien se apura en la Patagonia, pierde su tiempo », ce ne peut pas être plus vrai! Les enfants partent en cueillette. Célestin sort sa canne à pêche. Nous nous rendons compte que nous ne savons absolument pas la faire fonctionner. Heureusement certains ont le savoir-faire ici. Et Flo finit par attraper notre première truite!

Ici, à Candelario Mancilla, habitent une seule famille et les carabiniers chargés de la surveillance de la frontière. Pas d’épicerie. Petit à petit, les vivres s’amenuisent. La dame du camping fait du pain tous les jours pour nourrir ses hôtes, elle vend un peu de riz. Flo et Leila sombrent dans la maladie à leur tour et disparaissent sous la tente. Avec Célestin, en phase de guérison, nous essayons d’aller pêcher. Mercredi, la dame du camping a des nouvelles : a priori un bateau devrait arriver le lendemain matin, à 6h. La petite communauté décide d’organiser un asado pour le soir même. Son mari va tuer une vache dans la montagne. Tout le monde se retrouve autour des gros morceaux de viande puis va se coucher. A minuit, deux veilleurs font le tour des tentes : le port reste fermé, finalement il n’y aura pas de bateau demain. Retour au dodo.

Nouvelle journée d’attente sous le soleil. Une rumeur enfle, il y aura peut-être une fenêtre météo demain. La dame du camping ne veut s’engager sur rien, elle ne veut pas être à l’origine de nouvelles déceptions. La vie continue. Le soir arrive, toujours pas de nouvelles. A priori le port est ouvert et un bateau est en route, mais nous doutons de tout désormais. Les malades vont se coucher. 23h : cris de joie dans la nuit, le bateau est en vue! A minuit les veilleurs font à nouveau le tour des tentes : rendez-vous demain à 5h sur le ponton. On part!!!

Vendredi 9 février. Grand départ aux aurores. Personne ne râle pour se lever dans la nuit! Tout le monde embarque dans le premier bateau. Sacs à dos, vélos, passagers. “les gamins peuvent se mettre là”. Tiens, étrange il parle bien français ce chilien pour prononcer le mot “gamin’… Les gamins en question se rendorment vite. Le capitaine annonce qu’il y a le wifi sur le bateau. Ça nous semble un peu surréaliste après les quelques jours passés à Candelario Mansia… Les amarres sont lâchées. Le bateau se fait très rapidement brinquebaler sur les vagues. Ça secoue dans tous les sens. Petite pensée pour les vélos juste posés sur le toit du bateau… Le bateau en question est plutôt une embarcation faite pour les lacs aux calmes que pour les vagues patagones proches des vagues bretonnes. Si ils ne peuvent pas toujours traverser, c’est que l’embarcation n’est peut être pas la bonne pour ces meteos… Enfin, ça c’est que l’on pense nous.

Arrivée au port de Villa O’Higgins dans les lumières du petit matin. Il y a la barcasa La Integration, celle que nous avions pris il y a douze ans. Souvenirs, souvenirs… Flo voit passer le responsable de notre bateau “Tu ne trouves pas qu’il ressemble à Daniel?”. Nous l’apostrophons : “Tu parles bien français dis donc !? – Oui – Tu as habité en France? – Oui – À Grenoble ? – Ouii – Tu as fait la légion étrangère? – Ouiii – Il y a une douzaine d’années, tu t’entraînais pour piloter des avions ? – Ouiiii, mais comment vous savez tout ça??? – On a passé plusieurs jours avec toi il y a une douzaine d’années !!”. Retrouvaille émouvante. Daniel, nous invite tout de suite à aller dans le camping qu’il vient d’ouvrir avec sa femme à Villa O’Higgins. Aujourd’hui il doit faire plusieurs aller-retours sur le lac, mais demain on aura le temps de discuter.

Villa O’Higgins. Nous prenons notre temps. Le temps de se remettre les uns après les autres des microbes qui nous ont bien séchés ces derniers jours (covid?). Le temps de passer du temps avec Daniel, Sophia et Daniela. Le temps d’aller pêcher, de faire le meilleur asado (barbecue) de notre voyage, d’apprendre à cuisiner la truite de trois façons différentes : fumée, au feu, en papillote, de goûter à la viande de cheval et de manger une glace!

Puis, il est temps de se remettre en route. Ce sont 1.246 km qui nous attendent dont la moitié en ripio… Le départ est très émouvant. Daniel a les larmes aux yeux. Les filles voudraient encore, toujours, jouer ensemble. Célestin  a bien l’espoir de pêcher encore pleins de truites et de les faire cuire sur des pierres préalablement chauffées, au bord de la rivière. Allez, Yala, davaï. Il faut y aller!

11. De Puerto Natales à El Chalten

11. De Puerto Natales à El Chalten

28 décembre. Départ de Punta Arenas. Un peu chaotique. Ayant déjà fait le trajet Punta Arenas > Puerto Natales dans le bon sens (et au souvenir de la tête des cyclos que nous croisions), nous n’étions pas très motivés pour le refaire dans le mauvais sens. L’option bus nous a paru être la bonne. Nato, pour nous aider, a gentiment contacté un de ses amis transporteurs. Deux d’entre nous pouvaient monter dans le camion avec les vélos et toutes les sacoches tandis que les autres prendraient le bus. Parfait, en plus le chauffeur vient nous chercher au pied de l’immeuble! Départ prévu à 10h. Nous étions fin prêts. 10h30, rien. 11h, rien. 12h, une petite fourgonnette arrive. A peine de la place pour les quatre vélos et pas de siège pour aucun d’entre nous. Hors de question de laisser les vélos tout seuls. Pas par peur du vol, mais de la casse potentielle qui pourrait arriver par inadvertance. Le chauffeur propose de revenir dans l’après-midi avec un camion plus grand. Nous ne comprenons pas tout à l’organisation, pero bueno, on accepte ! L’après-midi passe, pas de nouvelles. Je cours attraper le bus de 17h30 avec les enfants et laisse Flo seul avec vélos et bagages et le risque que finalement aucun camion ne vienne… Mais si, un gros fourgon vide arrive. Perfecto. Mais non, c’est seulement pour rejoindre un entrepôt ou sacoches et vélos sont mis sur un autre gros camion. Flo essaye d’être de tous les côtés à la fois pour que les sangles qui maintiennent le chargement en équilibre n’écrasent pas nos vélos. Il réussit à sauver à peu près tout. De notre côté, nous traversons la pampa en fleur dans notre bus spiderman. Ça y’est c’est le printemps ! Les entrées des estancias se sont colorées de lupins rose, violet, bleu. Nous arrivons dans les lumières du soir à Puerto Natales. Il fait beau, presque chaud. Nous rejoignons la maison de Maria, notre hôte pour les jours à venir. Une fois de plus nous n’avions pas tout compris. Maria est vétérinaire, avant elle habitait dans cette maison où nous allons dormir, aujourd’hui elle vit dans un petit appartement contigu à son cabinet. Deux australiens ont loué une des deux chambres de la maison. Ils devraient arriver vers 22h30. Maria part s’occuper de ses patients poilus. Un camion arrive. C’est Flo! Déchargement des vélos dans la nuit qui tombe. Les Australiens arrivent. Après une semaine de rando, ils ouvrent de grands yeux ronds devant tout ce remue ménage. Quelques minutes plus tard, le calme est revenu, Maria aussi. Notre bazar est dans un coin de la maison et de l’eau chauffe pour tout le monde. Pfou quelle journée ! Il est plus facile de rester sur nos vélos !

1 janvier. Nous reprenons les vélos pour de bon. Direction le parc Torres del Paine. Petit arrêt à la grotte du Milodon, un animal préhistorique dont des ossements ont été retrouvés ici. Cette région a été l’une des plus riches du monde en grands mammifères préhistoriques, avant que tout le monde disparaisse il y a 11.000 ans. Pourquoi ? Sans doute la faute à l’arrivée des êtres humains et à un changement climatique. Après la grotte, fin de l’asphalte. Bonheur de retrouver le ripio, la tôle ondulée, la poussière… Nous nous échappons de la piste pour aller camper sur l’herbe grasse. Les premières étoiles sortent, ça faisait longtemps que nous n’avions pas vu la nuit !

Au matin, retour sur la piste. Beaux paysages sous le soleil, mais la route se fait un peu longue. Flo crève une fois, deux fois. Le pneu a plus de 10 ans, la chambre à air a sans doute plus de 50.000km et déjà 18 réparations. Ceci explique sans doute cela… Il commence à se faire tard, les rivières dessinées sur la carte sont absentes du paysage. Sans eau il nous faut poursuivre. Leïla en a marre des côtes. Elle maudit les ingénieurs chiliens sur 10 générations ! Dans un virage, un petit bout de forêt où se mettre à l’abri du vent. Sauf qu’il n’y a pas d’eau. État des réserves : 1,5l. Tant pis nous nous arrêtons et nous demanderons aux voitures…qui ne passent pas. Un moteur arrive enfin, pas d’eau. Un deuxième, une camionnette qui ravitaille un des hôtels. Il nous laisse quatre petites bouteilles prises sur sa cargaison, davantage ça se verrait. Troisième moteur : un fond de gourde. Nous allons survivre ! Un peu plus tard, quatrième moteur : c’est en fait le troisième qui revient après avoir été faire le plein d’eau pour nous. Tip, top les grimpeurs ! La soirée sera plus tranquille.

Entrée magnifique dans le parc Torres del Paine. Il fait gris, le bleu du lac en est d’autant plus beau. Les fameuses « Cuernas » jouent à cache-cache dans les nuages. Le ripio est difficile, raide, encore. Nous abandonnons l’idée de traverser le parc dans la journée. Pause au premier camping et balade au Cerro Condor. Ça vente fort la-haut ! Célestin s’essaye à la wingsuit immobile : « Une minute ça va, plus longtemps c’est trop difficile ! « .

Traversée du parc dure, dure. Le ripio est difficile, les pentes toujours à la mode chilienne, près de 1000m de dénivelé sur une piste censée longer le lac… Les cuernas sont belles même dans le brouillard, mais ça reste éprouvant. Fin de journée, nous entrons dans l’univers étrange du parc : un centre de bienvenue privé qui ressemble à un terminal de bus de luxe. Déphasage total avec la journée que nous venons de passer ! Au camping; les jeunes nous laissent nous installer sans avoir réservé, ouf ! Les douches sont chaudes, ça fait beaucoup de bien !

5 Janvier. Réveil 6h. Les enfants se lèvent tôt presque sans râler ! Nous avons prévu de faire la rando la plus courue du parc : Mirador Cerro Torre. Nous montons tranquillement, avant l’arrivée des bus. Quelques personnes sont déjà dans la redescente, déçues : les nuages leur ont caché les lumières du lever de soleil sur les Tours. Belle arrivée en haut, au bord du lac. On attend que les tours se découvrent. Le vent pousse les nuages. Les gens arrivent petit à petit. Deux heures après, nous nous retournons, des centaines de personnes sont là ! Et il en arrive encore quand nous attaquons la redescente ! Retour tôt à la tente. C’est agréable de finir la journée à 16h30. Ça laisse le temps de faire la lessive…
A la nuit tombée un chat sauvage se faufile dans le camping. Il nous laisse le suivre.

7 janvier. Belle sortie du parc. Cette fois c’est le soleil qui allume le bleu du lac avec en fond les massifs que nous venons de quitter. Et pour notre bonheur la route est asphaltée ! Quand il y a des travaux, nous avons le droit de rouler sur le bandeau de béton fraîchement tiré. Décidément, on adore ces pistes cyclables! Mais attention, virage et paf le vent fait son retour, en pleine face. Ouch, ça fait mal ! Vite, repas à l’abri dans l’abri-bus ! Allez, on repart. Ouch, pas diminué le vent. Tenir jusqu’au prochain virage, deux kilomètres à serrer les dents. Virage à gauche, vent de côté. Deuxième virage à gauche, vent de dos, Haha, trop cool ! Nous filons jusqu’à Cerro Castillo. Petite pause goûter pour fêter les 3.000 kilomètres et ça y’est nous entrons dans la ville du Far west, ou Far east chilien, ou, enfin, bon, bref, un village soumis aux vents qui fait siffler les fils électriques, s’envoler les sacs de courses et les cyclos un peu endormis. Nous plantons la tente dans le parc à jeux : deux rangées de palissade de 5m et plein d’arbres pour se protéger d’Eole ! Nous dévalisons l’étagère à légumes de l’épicerie : 21 carottes, 4 oignons et 9 oranges.

8 janvier. Nuit dans le vent. Réveil dans le vent. Journée dans le vent. De dos pour passer la frontière. De côte sur le ripio pourri du côté argentin. C’est dur. Leila maudit la terre entière. Une fois l’asphalte retrouvé, elle me dit tout sourire : “Cette fois tu ne peux pas me gronder parce que je mange mes cheveux, c’est la faute au vent!”. Encore deux trois virages avec le vent de côté, et ça y’est nous l’avons de dos. Nous nous envolons, mais il ne faut pas s’arrêter, ça caille trop! Nous passons devant un panneau qui indique une école. C’est toujours étonnant, et rassurant, de voir qu’il y a des écoles partout, même au milieu d’une pampa où nous ne voyons aucune habitation!

Nous nous arrêtons pour la nuit au carrefour Tapi Haike, derrière les bâtiments de la police et du service des routes. Il y a douze ans, nous y avions partagé un asado mémorable avec les travailleurs. Aujourd’hui les visages sont plus fermés, trop de trafic de cyclos? Heureusement il y a toujours de l’eau et de quoi camper à l’abri du vent.

Turrón au dessert, et paf le pouce ! Belle coupure. La gourmandise me perdra… Flo veut me recoudre. Je suis moyennement motivé à l’idée d’être sa première patiente… Du coup il m’envoie au poste de santé le plus proche,  à 80 km, à Esperanza. Une bétaillère s’arrête et m’embarque. La pampa est belle sous les lumières du soir. Mon chauffeur n’est pas bavard, ça me va. Je suis fatiguée et me demande ce que je fais là. Les pensées volent. Esperanza, joli nom. A l’arrivée, hormis la station service, tout semble être fermé, même le poste de santé. Je sonne sans y croire, et miracle, quelqu’un vient m’ouvrir. Un premier gars, puis un deuxième regarde ma coupure, cherche je ne sais quoi dans tous les placards. Un troisième arrive “Excusez-moi, j’étais sous la douche”. Il regarde. Pas de points, zone trop fragile. Argentine 1ère, France 2eme. Haha, vive le foot! Je me retrouve avec un beau gros pansement et merci au revoir. Je tente le stop au carrefour. La nuit tombe. Une seule voiture passe s’en s’arrêter. La nuit se fait noire, le froid arrive. Je vais à la station service et remonte dans une bétaillère, vide cette fois, avec un chauffeur plus loquace, nous discutons de la vie dans la pampa, la vie de famille, politique, le réchaud pour chauffer l’eau du mate bien calé entre nos sièges. Arrivée à minuit trente, Flo m’attend sous un ciel étoilé et dans un vent glacial.

9 janvier. Départ plus tard que souhaité (faute au turron…). Il vente déjà fort. Deux options : un raccourci par un ripio avec vent plutôt favorable ou un détour par l’asphalte avec 80km de vent de dos et 90 de face. On se lance sur la ripio. Enfin on tente. Malgré l’aide du vent, la piste est difficile, très, trop. Le porte bagage avant de Flo casse (Guy, tu aura du boulot  à notre retour!). Le chef regrette notre choix. La petite voix de Leïla de ce matin se faufile dans notre tête : “Mais pourquoi on fait pas le détour? On va tranquille jusqu’à Esperanza et après on fait du stop. Facile!”. Popopopo. On croise un couple de catalan. Malgré le vent de face, ils ont une pêche d’enfer et remontent le moral des troupes en brieffant les enfants sur les pizzas, burgers et glace qu’ils devront réclamer à El Calafate! On arrive à avancer. Le ripio s’améliore, un peu, et le vent nous aide de plus en plus. Les paysages sont magnifiques et grand ouverts. Mais pourquoi cette impression de liberté décuplée ? Il n’y a pas de barbelés! Ça change toute la vision du monde! Le regard va loin. Les condors s’amusent du vent. Nous atteignons notre objectif du jour : un poste de police… abandonné. Quelle idée d’en avoir mis un là ! Ça devait être la punition suprême! Comme souvent de nombreux dessins et mots couvrent les murs. Ici depuis 2017, 2018, 2019. Date de fermeture du poste ou date de développement du voyage à vélo dans ces contrées?

10 janvier. Pas de vent au lever. Ça fait du bien! Le ripio est plutôt bon. Nous avançons bien et rejoignons l’asphalte à 11h, en même temps que le vent qui forcit… Face à nous, un autre bâtiment de la vialidad. Nous décidons de nous arrêter là. Le vent de côté sera trop dangereux l’après-midi. La personne d’astreinte nous laisse nous reposer dans l’immense garage, comme tous les autres cyclos. Nous le sentons blasé des deux roues. L’après-midi, il sort en soufflant avec son bidon d’eau quand il voit 5 cyclos italiens arriver. Drôle d’ambiance. Nous faisons l’école à l’abri du vent. Leila poursuit son cours de géométrie en faisant des bricolages. Flo s’occupe de tous les cyclos qui passent. Les cinq derniers restent dormir comme nous dans le garage. Le cantonnier vient passer un peu de temps avec nous. En cette fin de journée, il est beaucoup plus détendu et souriant! Tout le monde se couche juste avant le démarrage du groupe électrogène. Les ronflements ne risquent pas de couvrir le bruit, mais les yeux se ferment quand même. Il faudra se lever tôt demain pour échapper au vent.

11 janvier. Réveil à 4h30 pour partir à 6h. Le petit monde des cyclos se lève doucement. Les enfants arrivent même à se motiver pour voir le ciel tout rose! Les belges sont les premiers à partir, vers le sud et le ripio. Peu de temps après, nous prenons la route du nord et de l’asphalte. C’est étonnamment calme. Légère brise aidante, pas de circulation. La pampa se réveille tranquillement, se dore au soleil. Les guanacos nous suivent du regard. Le Fitz Roy apparaît au fond. La route se réveille à son tour. Doucement elle aussi. Une voiture après l’autre. Un camion après un bus. Grande descente vers un lac bleu turquoise qui semble posé au milieu du désert. Pause pique-nique à l’oasis près de la rivière. 13h. Toujours pas de vent. Nous décidons de repartir plutôt que de planter la tente. Mal nous en pris. Le vent forci, comme prévu. Mais maintenant il nous faut arriver jusqu’à El Calafate, pas d’abri, pas d’eau avant. Nous arrivons au carrefour de l’aéroport. En plus du goûter, nous mangeons le pique-nique du lendemain pour faire le plein d’énergie et braver les courants aériens sur les 15 kilomètres qu’il nous reste à faire. La famille se met en file indienne, pas un cheveux ne dépasse et nous arrivons enfin en ville! Célestin est fière, c’est notre plus grosse journée : 100km! Bon, mais on espère ne pas en faire trop des comme ça…

El Calafate. Pause de quelques jours. Pauses glaces, au pluriel… Pause glacier, au singulier, le gros, le Perito Moreno. Les enfants sont impressionnés par les séracs qui tombent dans le lac. Eux qui rêvaient de marche sur glace se rendent compte que ce n’est pas si évident… Pause copains. Une famille française arrive au camping, Julien, Amélie et leurs filles Anae et Meloe sont aussi en voyage pour un an, sac au dos, entre Amérique du sud et Asie. Les enfants sont les plus heureux du monde! Ils ne veulent plus partir, mais il nous faut reprendre la route, avec la promesse de se revoir dans quelques jours.

15 janvier. Dernier petit déjeuner collectif, derniers jeux, dernière course de pain. 15h, on enfourche les vélos et c’est le retour dans la pampa. Vent de dos, récompense après l’aller! Nous sommes dans le flux, pas de bruit, pas de froid. Carrefour, virage à gauche et paf le vent. Quelques kilomètres à rouler penchés et pause de la tente au bord de la rivière. Un couple de kayakiste se prépare pour rejoindre l’Atlantique. Des cyclos se sont mis à l’abri du vent derrière des bâtiments abandonnés.

On le sait, pour ces derniers jours avant El Chalten, il va nous falloir jongler avec le vent, viser les points d’eau, trouver les bons abris pour camper. Nous avons tous les mêmes, ou presque. Nous retrouvons Marion et Lucas à la fameuse maison rose, un ancien hôtel abandonné. Ils nous ont rattrapés puis dépassés. Quelques kilomètres plus loin, plein d’eau à l’auberge de la Serena. Ambiance surréaliste, tous les bus touristiques qui vont d’El Calafate à El Chalten s’y arrêtent. Bain de foule avant de retourner dans le désert!

Pédaler contre le vent. Une voiture s’arrête, le chauffeur sort nous prendre en photo. Flo le force à écouter une partie de notre histoire. Il n’en a rien à faire et remonte vite dans sa voiture. Nous sommes devenus nous aussi une attraction touristique, comme les guanacos, bon pour la photo, c’est tout, case cochée.

Nouveau refuge, nouvel abri à cyclos. Il est midi. Ce qui nous attend c’est 90km de vent de face pour rejoindre El Chalten. Grosse flemme. Plus on attend, plus le vent forci. Les cylos passent, s’arrêtent, repartent, vers le sud, grisés par le vent de dos. Nous discutons avec Maxime. Il est sur la route depuis deux ans et demi. Parti d’Alaska, il s’envolera vers l’Afrique après avoir rejoint Ushuaia. Nous sommes claqués du vent, de la lumière, de la sécheresse et El Chalten ne semble plus être le lieu de repos idéalisé, mais serait devenu un village touristique surpeuplé où les tentes se touchent les unes les autres. Nous n’avons pas bougé du refuge. La lune se lève sur un Fitz Roy dénudé. Elle a la tête en bas. A moins que ce ne soit nous?

Lever tôt, le ciel est teinté de rose. Célestin est d’excellente humeur! Les parents voient que le vent souffle toujours… Départ. File indienne. Célestin en oublie de zigzaguer et arrive à tenir la ligne droite derrière son père. Leila “s’accroche” à moi. Midi, rivière. Objectif 1 réussi. Des voitures arrivent, conciliabules de gauchos? Un troupeau de chevaux arrive à son tour. Les deux gars nous expliquent : les chevaux partis le matin de Tres Lagos, à 90km, vont à l’estancia un peu plus loin pour profiter de pâturages plus verdoyants. Il nous propose de camper à l’estancia, à l’abri du vent. Nous nous renseignons sur la suite de la route, l’eau et les abris entre la ferme et El Chalten. Il nous regarde en rigolant : “Après? No hay nada, puro Eol!”. Ok, on sait ou dormir ce soir, on ira pas plus loin cette fois!

Le lendemain, nous prenons la route à 8h. Le vent est déjà là. 2km en 30 minutes. Stop, demi-tour. Retour à l’estancia en 2 minutes… École à l’abri du vent.

Surlendemain, nous prenons la route à 6h. Lever du soleil sur un Fitz Roy tout nu de nuages, il en est tout rose pour dix minutes! Le vent nous laisse avancer, pas trop vite quand même, il faut profiter du paysage. Il y a douze ans nous n’avions rien vu de ce massif alors pris dans la grisaille. Cette fois, nous en prenons plein les yeux! Et ça y’est nous arrivons à El Chalten. Nous avons réussi à faire ces derniers 90km ! Ceux qui vont vers le sud les parcourent en 3h, ceux qui vont vers le nord les font en 2 ou 3 jours… Il ne nous reste plus qu’à trouver une place dans un camping à l’abri du vent…

10. Île Navarino

10. Île Navarino

19 décembre. Ushuaïa. 5h du mat’. Le canal s’éveille et nous avec. Nous rejoignons Igor et son voilier. Il y a aussi sa sœur Olga, et sa compagne Adriana. Hop, hop, nous chargeons sacoches et vélos, sans bruit, pour ne pas réveiller les autres bateaux, et larguons les amars pour la traversée du canal de Beagle dans les lumières matinales. Le mer est d’huile. Igor envoie Célestin et Leila hisser le génois, mais le vent peine à gonfler la voile. C’est doux, c’est calme. Les enfants écoutent les histoires de ce frère et cette sœur nés sur le bateau, qui y ont passé toute leur enfance et aujourd’hui poursuit les navigations dans le grand sud pour l’un et se dédie à la peinture pour l’autre (Allez voir les œuvres d’Olga, on y retrouve toute l’atmosphère de ce grand sud : bely.olga). Célestin, malgré le mal de mer, se met à penser à la prochaine année de voyage que l’on passerait sur un bateau…

Puerto Williams en vue, le Mikalvi est toujours là! Derrière, apparaissent les Dents de Navarino que nous allons parcourir à pied. Formalités d’entrée en territoire chilien, passage chez Denis pour acheter une carte du coin (nous le reconnaissons, lui pas, normal), déclaration de notre départ en rando chez les carabineros, retour au bateau. Igor propose de garder nos vélos. Nous acceptons avec plaisir. Hop, hop, transfert du matos des sacoches dans les sac-a-dos, débarquement du tout, les enfants sont aux rames, et c’est parti pour le fameux tour des Dents de Navarino, la rando “la plus australe du monde” !

Objectif n1 : rejoindre le départ du sentier, par la piste. De là, ce sont entre 3 et 5 jours de rando “engagées” dixit les topos lus. Ce sont surtout les conditions météo qui peuvent rendre les choses difficiles, voire extrêmement difficiles, mais pour une fois, il semble que Zeus soit avec nous, alors on en profite! Nous dormons au départ du sentier.

J1. Nous prenons gentiment de l’altitude dans la forêt avant de rejoindre la crête dénudée du Cerro Bandera, la montagne du drapeau, qui flotte fièrement au vent… Célestin, un peu palot, traîne la patte, Leila avance comme un cabri. Pause pique-nique, un autre randonneur nous rattrape. Il vient fêter ici son anniversaire et ses dix années de trekking. Célestin calcule “moi aussi ça va bientôt faire dix ans que je randonne!”. Charcuterie et fromage aidant, il reprend du poile de la bête, entraîne tout le monde à flanc de montagne, descend dans le pierrier, rattrape le chilien, remonte dans le lit d’un petit torrent pour atteindre un col au-dessus d’un lac… gelé! Alors ça, on ne s’y attendait pas. Un peu de neige oui, mais un lac aussi gelé, pas vraiment. Derrière, au loin, les îles du Cap Horn. C’est beau, ça fait rêver, mais il ne faut pas traîner. Ce n’est pas ici que l’on va camper et il y a quelques névés à traverser. Les enfants chaussent leurs baskets à neige et c’est reparti, jusqu’à un lac où nous sommes censés trouver un endroit abrité du vent. Heureusement, ici les buissons sont plus hauts que dans la pampa, ça aide, car le vent fait même voler l’eau du lac !

Nous fêtons le solstice d’été en doudoune sous une nuit bien ensoleillée!

J2. Petit colu pour rejoindre un autre lac, ou plutôt des lacs. Certains naturels, d’autres artificiels, construits… par les castors! Ces animaux introduits ici il y a quelques dizaines d’années se sont multipliés et ont modifié le paysage à leur sauce. Ces grands bâtisseurs ont transformé les vallées en une succession de lacs en terrasses. C’est impressionnant. Le sentier en emprunte même les rives faites de branches et de terre.

Fin de journée. Nous arrivons au campement d’un petit groupe. Discussion avec la guide et un des porteurs. Le lendemain, la météo annoncée n’est pas top. Il nous reste un col à passer et surtout une descente bien raide dans un pierrier. Les enfants sont en forme, les journées sont longues, nous décidons de poursuivre. Le sentier se perd au millier des lacs de castors. La montée est douce, mais longue. Ça ne ressemble à rien de ce que laissaient imaginer les cartes : un immense plateau caillouteux, lunaire, pour arriver en haut du fameux pierrier. Et effectivement, c’est raide! Nous avons le choix : option neige ou option cailloux. Faute de ski, nous optons pour les cailloux. Les enfants chaussent leurs baskets renforcées et découvrent le ski sur pierrier. Ils adorent! Nous longeons le dernier lac en contrebas pour aller chercher un abri derrière les buissons.

J3. Descente finale. Nous nous enfonçons dans la forêt, sautons des torrents. Le sentier se perd entre les arbres, dans les broussailles, se referme, devient humide, très humide, franchement boueux. Flo, avec sa boussole intégrée, ne perd jamais le nord, malgré les arbres tombés et la sente qui a un peu trop tendance à finir au milieu des bartasses bien épaisses. Ouf, on sort enfin du bush! Face à la mer, et contre toute attente sous le soleil!

Pique-nique au bord de la piste. Trois porteurs arrivent. Les enfants rigolent : il y a celui qui se met en calbute pour profiter du soleil et celui qui se met tout habillé dans son duvet pour faire la sieste…au soleil! Belle image de la météo dans ces contrées.

Un pick-up arrive, nous montons dedans pour rejoindre Puerto Williams et s’éviter les huit kilomètres retour.

Le voilier n’a pas bougé. Nous récupérons sacoches et vélos, faisons la bascule rando>vélo, et partons pour un beau lieu de bivouac recommandé par Igor : une petite clairière à l’abri du vent, sans doute utilisée en son temps par les yaganes et leurs huttes.

23 décembre. Nous quittons l’île en ferry pour attaquer notre remontée vers le nord et rejoindre Punta Arenas. Arrivée prévu le lendemain, 24 décembre, à minuit. L’équipage est pressé. Le bateau largue les amars une heure plus tôt que prévu. Demi-tour, il manque deux passagers! Nous repartons. Ambiance sympathique sur ce ferry, seul moyen de rejoindre le continent par voie terrestre. Quelques touristes, comme nous, au milieu des locaux qui profitent de billets pas chers pour rejoindre le continent, la famille, ou encore des services de santé absents de l’île. Repas à la cantine, les plateaux vibrent fort sur les tables proches des moteurs. Chacun s’installe pour la nuit, profite des places libres pour s’étendre sur deux sièges au lieu de l’unique réservé. Le bateau passe au milieu des fjords, longe des glaciers qui tombent dans l’eau. Les albatros jouent du vent dans les lumières marines, phoques et dauphins s’amusent des vagues. Le capitaine met le plein régime, change un peu l’itinéraire habituel pour raccourcir le trajet. Nous entrons dans le détroit de Magellan. Les nuages sont toujours aussi beaux.

Punta Arenas, nous arrivons avec quatre heures d’avance. Le débarquement est efficace!

Nato, parti fêter noël en famille, nous a laissé les clefs de chez lui. C’est juste parfait. Le père noël connaît même l’adresse de notre résidence ponctuelle! Les enfants sont heureux de ce qu’ils trouvent au pied du sapin : une canne à pêche pour Célestin (depuis le temps qu’il en rêvait!), un béret de gaucho pour Leila (“le prochain voyage, sera à cheval!”, oups, c’était pas prévu ça !), et des dizaines de livres à mettre sur la liseuse (nous avons de vrais boulimiques de la lecture avec nous, désormais ils râlent quand les livres ne font que 150 pages!).

9. Terre de Feu

9. Terre de Feu

Dimanche 3 décembre. Départ pour Porvenir. Faux départ. Le ferry est complet. Nous commençons à nous installer dans le terminal vide tout passager. Séchage du linge devant les radiateurs, école sur les bancs, repérage de la pelouse pour planter la tente ce soir, quand Nato passe nous voir. Retour à la maison! Bonheur d’un dernier tour à la piscine. Humm, l’eau chaude.

Lundi 4 décembre. Vrai départ (nous avons nos billets cette fois!). Traversée du détroit de Magellan sous un ciel incroyable! Les nuages qui se forment sur les montagnes avant de venir sur la mer transforment le ciel en un tableau magnifique. Sur le bateau deux autres cyclos : Annie et Pascale, partie du Canada, ils sont en route pour Ushuaïa.

Nous posons les pieds en Terre de Feu, Il vente. De plus en plus fort. La côte est belle. Le vent nous aide sur ce ripio pas facile. Virage au nord. Aille ça se corse. J’essaie de protéger Leila des bourrasques, tout en essayant de ne pas me projeter sur elle. Pas facile. Ni pour l’une, ni pour l’autre. Le soir arrive. Le vent ne faiblit pas. Pas vraiment d’endroit où planter la tente ici, pas vraiment d’eau non plus. Nous sautons la barrière d’une estancia vide d’habitants. Flo va demander de l’eau au voisin. Un cochon pend à un crochet. Une dizaine de chiens lui sautent dessus. Le gars est entier. Comme cette terre. Il nous donne le peu d’eau qu’il lui reste de sa dernière virée à Porvenir. Après maintes tergiversations, nous décidons de nous mettre à l’abri contre un des murs de l’estancia. Si les proprios débarquent, nous leur expliquerons qu’il n’y avait pas vraiment le choix…

Nous nous réveillons. Soleil. Nous nous préparons. La pluie commence à tomber. Flo sort. Grand ciel bleu, mais de la neige au pied de la tente. Nous plions l’intérieur, il se remet à pluineger. Nous déjeunons sous la tente, grand bleu. C’est à ne rien y comprendre. Une chose est sûre, le vent, lui, est toujours là! Il ne nous quitte pas de la journée. Il est plutôt de dos et avec une moyenne de 70/80 km/h, on arrive à faire des pointes à 30 km/h sur le ripio sans pédaler! C’est cool! Mais fatigant et on ne quitte pas les doudounes de la journée.

Après 110 km de piste, ça y’est nous rejoignons l’asphalte ! Enfin le refuge du carrefour. Un abri construit sous le gouvernement Bachelet. A l’origine, il y avait tables, bancs, étage où dormir à deux (ou quatre un peu serre), toilettes sèches et même un poêle! Aujourd’hui, la plupart de ces refuges ont été vandalisés, certains sont inutilisables, d’autres continuent d’accueillir les cyclos en manque d’abri protégé du vent. C’est notre cas ce soir. On en profite pour éduquer les automobilistes qui viennent se soulager à l’abri du vent contre le mur du refuge…

Mardi 6 décembre. Aujourd’hui nous avons décidé d’aller voir les pingouins, enfin les manchots. “Petit” aller-retour de 15 km sur piste. Facile, si il n’y avait pas ce bbrrr de vent ! Du coup, on se lève tôt car on sait que ce ne sera pas facile justement, et ça ne l’est pas. Vent de face, de côté. Leila chute plusieurs fois. Elle maudit le vent (et sans doute aussi ses parents…). Nous finissons par arriver en avance pour la visite et nous nous abritons derrière la porte fermée (le proprio du terrain sur lequel se sont installés les manchots a clôturé les lieux pour protéger les bestiaux et organise des visites guidées d’une heure top chrono). La porte s’ouvre, lavage des semelles pour ne pas contaminer les lieux… Et ça y’est nous voyons ces fameux pinguinos. Ils sont beaux ! Normal ce sont des rois. Ils ressemblent aux empereurs, mais contrairement à leurs cousins, ils ne vivent pas en Antarctique. Les ados sont en pleine mue. Ils se font rabrouer par les adultes quand ils essayent d’intégrer les groupes de paroles. Un petit groupe part à la pêche, cahin-caha, vers la plage. Ça vente, ça caille. Nous nous demandons quand même ce qu’ils fichent là! Mais nous, nous sommes bien contents d’avoir réussi à venir jusqu’ici pour les voir !

Retour avec le vent, un poil plus aidant, mais ce n’est pas non plus la fête. Nouvelles chutes sous le regard des guanacos. Ouf, retour au refuge et … arrivée sur le goudron!

Cap à l’est, vent de dos ! Ça file comme jamais ! Pas de trafic (nous apprendrons plus tard qu’à cause du vent, les ferrys n’ont pas pu faire les traversées pour la Terre de Feu ce jour-là), les guanacos broutent tranquilles sous le soleil, la pampa se pare de magnifiques couleurs. Nous faisons du 35km/h sur le plat sans donner un coup de pédale ! Le rêve!! Pause goûter tardive dans un nouveau refuge, seul abri possible avant la frontière à 30 km. On reste? On continue? Deux cyclos arrivent, Paul le polonais et Brice le breton, ils arrivent de Provenir, partis à 11h30 ce matin, nous en sommes à notre troisième jours… C’est décidé, on continue! C’est magique. Les enfants se prennent pour des supers héros avec leurs VEE, vélos à énergie éolienne ! C’est trop coooool le vélo!

Arrivée au poste frontalier argentin. Le gendarme : “l’hosteria c’est par ici, la salle d’attente, gratuite, chauffée avec cuisinière et douche chaude c’est par là, vous pouvez laisser vos vélos dehors, on est là toute la nuit”, “Et pour les papiers?” “ha oui, c’est par ici”. 10 ans après, les souvenirs reviennent. Déjà à l’époque la douche des filles ne fonctionnait pas, celle des gars fermait mal. Le bonheur d’avoir un endroit au chaud après tant de froid est toujours le même. Célestin nous dit : “ce matin je m’imaginais un camion vide pour transporter les brebis. Hop, on met les vélos dedans, contre les bottes de paille. Il nous emmène aux manchots et on revient au carrefour avec. Sauf que ça c’est pas passé comme prévu.” Et non, nous avons fait près de 90 km, dont 30 km de ripio abominable et 60 km de pure bonheur !

Fou rire en voyant des prises au plafond de la salle d’attente : “Comment ils font pour recharger leur téléphone ? Ils sautent? Ils appellent les pompiers?”

Le lendemain, le vent aide toujours et la circulation est toujours aussi faible. Nous pouvons nous amuser, discuter côte à côte, faire des travellings sans les mains, regarder les puits de pétrole disséminés dans la pampa, les gazoducs qui la traversent. Puis on arrive dans la ville, la grande, Rio Grande. C’est la fête de l’illumination de l’arbre, avec jeux, concerts, churros. Les enfants sont perdus ! Trop de contraste avec les derniers jours. L’arbre en question est celui de noël. Un sapin. Comme il n’y en a pas ici, chaque ville et chaque village en fabrique un avec des guirlandes accrochées à un poteau central. D’où l’illumination de l’arbre. Nous en voyons aussi en bouteilles, pneus, planches, etc. Et alors que nous sommes censés être en plein été, il y a des bonnets rouges et des bonhommes de neige un peu partout. Vive la mondialisation !

Mais ce soir nous ne restons pas. L’illumination se fait à la tombée de la nuit, et la nuit elle tombe bien trop tard sous ces latitudes. Nous filons chez Jose, notre hôte ici. Nous n’avions pas bien compris, mais Jose habite chez sa compagne et laisse sa petite maison aux cyclos de passage. Et des cyclos, il y en a un paquet qui passent par ici ! Certains ont même tendance à rester un peu plus que de raisons, sans forcément s’occuper de la maison… Les enfants découvrent l’ambiance “casa de ciclista”. Nous serons 11 le dernier soir autour de l’asado, à venir d’un peu partout : Espagne, Canada, Chili, Argentine, France. Il y a ceux qui vont au nord, ceux qui vont au sud.

Il est temps de reprendre la route, direction le sud pour nous. Vent de face. On ne peut pas toujours avoir de la chance. Virage, le vent tourne avec nous. “C’est l’arnaque” nous dit Leila. “En plus, ce matin, il faisait grand beau et maintenant c’est tout gris”. De fait, de magnifiques nuages couvrent la pampa et nous sommes contents de ne pas être en dessous! Il est vite l’heure de chercher un endroit où planter la tente à l’abri du vent. Premier stop pour demander de l’eau, un grand gaillard au fort accent russe remplit nos gourdes. Pas vraiment avenant le gars. Nous poursuivons notre route sans rien demander de plus. Bientôt une estancia. Nous y avions dormi il y a dix ans. Souvenir d’une très bonne soirée. Aujourd’hui, le proprio ne veut plus des cyclos. Mauvaises expériences? Abus? La faute aux applications et réseaux sociaux qui référencent les lieux de bivouacs, mais aussi les lieux de rencontre qui devraient rester propre à chacun? En tout cas, son père est désolé de ne pouvoir nous aider, le jeune stagiaire aussi, et nous, nous sommes désolés de la tournure que prennent les voyages. Nous continuons. Le soleil se couche après 23h. Les journées peuvent s’étendre sans danger, mais pas sans fatigue. Ça commence à tirer et toujours pas un arbre ou une bosse derrière laquelle s’abriter. Enfin un semblant de forêt. Un camping, fermé, cadenassé. Une dame arrive. Le camping est fermé, oui, mais pas pour les cyclos chahutés par le vent, ouf! Elle cherche avec nous le meilleur endroit pour planter la tente, puis finit par nous proposer un cabanon et allume le poêle d’une cuisine extérieure. Toutes les mains s’y réchauffent. Un couple d’amis sort. “Mais je vous connais! Je vous ai vu sur Instagram!”,”Quelle notoriété!” Une vidéo réalisée par la gérante d’un camping au nord de Concepcion a fait le tour du Chili et s’en est même allée du côté de l’Argentine, du Brésil et de l’Uruguay. Pour toutes ces personnes qui demandaient comment nous suivre, nous avons créé un compte Instagram (Terre_de_paysages). Nous avouons ne pas être encore au top, plus à l’aise sur nos vélos que sur les réseaux…

Leila nous le fait remarquer : “Nous ne sommes plus dans la pampa, il y a des arbres!”. Les paysages changent en atteignant le sud de la Terre de Feu, plus boisés, plus montagneux, des lacs. Les journées sont plus grises aussi, un peu longuettes parfois. Des portes s’ouvrent. Celle de la boulangerie de Tolhuin qui accueillent depuis très longtemps les cyclos dans sa réserve au sous-sol, celle de la protection civile, grand sourire, qui met les enfants au chaud. “Trop chaud” d’après Célestin. “Ils mettent le chauffage à fond et ouvrent les fenêtres!!”. Dix ans plus tard, nous n’arrivons toujours pas à nous faire aux brûleurs de gazinières qui restent allumés sans casserole dessus. Par réflexe, nous continuons de les fermer…

Dernier col avant Ushuaïa. Giboulée de neige au sommet! Petite pluie dans la descente. Refuge sous les devantures des bâtiments fermes de la station de ski. Nous errons parmi les ouvriers qui s’occupent de la maintenance, construisent nouveaux hôtels et cabanas de luxe. Un renard de Patagonie nous regarde planter la tente sur les pelouses grasses de l’école de ski. 22h30, il fait encore jour. Difficile de se coucher tôt et de garder un rythme “normal”. Il fait froid comme en hiver, mais jour comme en été, drôle de noël en perspective!

Ushuaïa! Ça y’est nous y sommes! Nous n’avions pas prévu de venir jusqu’ici et nous sommes contents d’y être arrivés! Fin del mundo. A la fois si loin, et si proche. C’est la première fois depuis quatre mois que nous reconnaissons aussi bien les lieux. L’atmosphère, la sensation d’arriver au bout du monde sans pour autant que ce soit la fin. Nous ne pouvons nous empêcher d’aller sur les pontons voir s’il y a possibilité de continuer plus au sud….

Canal de Beagle. Zone de friction entre l’Argentine et le Chili. Il y a une douzaine d’années, un ferry avait été mis en place pour relier Ushuaïa, argentine, et l’île Navarino, chilienne. Depuis le covid, il ne fonctionne plus. Les autorités chiliennes ne veulent plus non plus des traversées commerciales en petite lancha. Restent les traversées officieuses, ou la chance de rencontrer un équipage prêt à nous emmener. Flo y croit, et il a raison! La chance nous sourit : Igor accepte de nous embarquer! Nous avons quelques jours pour nous reposer, fêter un anniversaire (Nous avions fêté ici les 30 ans d’Aurélie, nous y fêtons cette fois les 44 de Flo, aux enfants d’écrire la suite s’ ils le souhaitent…), et visiter le musée de la prison d’Ushuaïa.

Muséographie particulière : chaque petite cellule constitue une petite salle. Et des petites cellules, il y en a beaucoup. Il était un temps ou les prisons servent à coloniser les territoires où personne n’avait vraiment envie de s’installer. Ces cellules racontent tout ça, les expéditions navales, la flore, la faune, la création de la ville, son développement, les natifs, ces peuplent “qui n’ont pas su se faire à la culture des colons”. Une frise chronologique numérique se termine sur une photo de partie de chasse, la légende précise “Chasseurs de natifs”. Point. Il m’a fallu un temps pour réaliser ce que j’avais sous les yeux. Une histoire qui se termine sur une chasse aux populations locales sans aucune remise en question. A Bariloche, le musée de la ville, si il n’avait pas encore revu ses expositions, interpellait le visiteur par des pancartes sur cette façon de construire l’histoire : “Peux-t-on résumer un peuple à ses outils ? » ; « Colonisation : premier génocide sud-américain » ; « Pourquoi les femmes sont-elles absentes de cette salle? » ; « Non, ces terres n’étaient pas des déserts.” Ici, rien. Les salésiens se montrent en médiateurs entre des colons qui ne comprennent rien aux populations locales et des populations locales trop heureuses de pouvoir chasser des moutons parqués. Envie de coup de gueule. Envie de crier, de pleurer. Stop. D’une colonisation à l’autre, rien ne change. D’une guerre à l’autre, tout est pareil. Ici, la-bas, pourquoi ce besoin d’écraser l’autre, le faire disparaître, puis parler de désert. Il n’y avait rien avant, nous avons tout fait. Mensonge. Je ne peux plus voir ces photos figées, coupe au bol, ces habits porteurs de mort. Mal. Culpabilité. Ces colons, européens, c’est moi, c’est nous.

8. Patagonie du sud

8. Patagonie du sud

Puerto Natales. Nous laissons passer le gros coup de vent et partons sous une petite pluie, grise. Ça caille! La pluie cesse. Le vent forcit. Nous l’avons de dos puis de côté. Les enfants apprennent à pédaler penchés. [Petit exercice : les cyclistes vont vers le sud, ils penchent sur leur droite. D’où vient le vent ?] Les paysages s’ouvrent, montagnes enneigées en toile de fond. Véritable bouffée d’oxygène. Le soir nous cherchons un endroit à l’abri du vent, pas évident dans cette pampa bordée de barbelés. Nous allons toquer à la porte d’une estancia pour demander à dormir à l’abri des arbres. Les travailleurs nous donnent de l’eau et nous laissent profiter d’une belle pelouse au bord de la lagune. Le lendemain le dueño arrive. Il nous ouvre la porte des toilettes, mais surtout nous parle d’une route plus au sud, celle qui doit rejoindre Yendegaia. Yendegaia, fjord côté chilien du sud de la Terre de Feu, au bord du canal Beagle, au pied de la cordillère Darwin, à quelques kilomètres d’Ushuaïa. Estancia uniquement accessible par bateau. Aujourd’hui. Car depuis longtemps il y a un projet de route pour la relier au reste du Chili. A priori, la piste ne s’arrêterait désormais qu’à 50km du lieu et nous savons que sur demande un ferry peut s’y arrêter pour embarquer des passagers. Alors nous nous mettons à rêver… Imaginer un sentier pour rejoindre ce bout du monde dont nous avions eu connaissance il y a 10 ans. Il y en a forcément un ! Ne serait-ce que pour étudier le tracé de la route…

Le vent de côté forcit. Les cyclos penchent dangereusement. Les abribus à l’architecture si caractéristique sont les bienvenus pour s’abriter d’une averse, pour s’abriter du vent. Les paysages sont grands ouverts. Lignes droites dans la plaine. Sentiment de liberté. Respirer. Enfin. Voyager à vélo prend tout son sens ici. Avoir le sentiment d’aller jusqu’où nous porte le regard. Les automobilistes trouvent le paysage monotone. Nous y voyons couleurs, estancias au loin, des milliers de brebis et leurs petits, mais aussi guanacos, nandous, flamands roses, oies sauvages, lièvres à grandes oreilles et même tatous et mouffettes !
Nuit chez les carabineros, les gendarmes. Ils nous ouvrent une maison non-utilisée. Faveur pour les enfants. Parce que d’habitude les cyclos campent de l’autre côté de la route. Serait-on devenu trop nombreux à chercher où camper ?
Tehuelche. Petite pause. Des deux roues arrivent. C’est Diego et son pote Théo ! Diego, cyclo belge avec qui nous avions passé une soirée bien plus au nord, à la sortie du parc Conguillio. Haha ! Nous l’avons doublé! Ok, nous avons pris un ferry sur plus de 2.000km… C’est rigolo de le revoir. Ils sont à fond, ont quitté Puerto Natales le matin à 11h et projettent de rejoindre Punta Arenas le soir même ! Il nous faudra 4 jours ! Après les 400g de pâtes par repas, le coup du pick-up et les distances parcourues aujourd’hui, Diego devient définitivement notre héros familial ! Célestin projette de l’inscrire aux grandes courses Transcontinentales. Le Tour de France étant évidemment trop petit.

Nous croisons des dizaines de camping-car de voyageurs. Si ils sont de formats très variés, du pick-up avec module aux gros camions 4×4, tous arborent le même autocollant. Est-ce une caravane des temps moderne ? Une arrivée de cargo ?

Punta Arenas. Petite averse de neige humide avant d’entrer en ville. Nous passons au musée naval. Reproduction des bateaux emblématiques de la région : celui de Magellan, de Fitz Roy, etc. Les enfants se prennent pour des conquistadors. Il y a également la chaloupe avec laquelle Shackleton a réussi à rejoindre la Géorgie du Sud depuis la péninsule Antarctique après que son navire, L’Endurance, se soit fait prendre et détruire par les glaces. Voir la taille de l’embarcation aux vues de la traversée effectuée est juste incroyable !

Nous reprenons humblement nos petits vélos pour rejoindre un lieu au combien plus confortable : Nato nous attend et nous montre deux chambres avec lits et couettes. Les enfants sont aux anges ! Il y a même une douche chaude (ça, ils s’en fichent, sur le coup en tout cas) et un truc de fou : une piscine chauffée au rez-de-chaussée de l’immeuble. Alors là c’est le paradis, la fête intégrale!! Nato sort des saumons de son congélo, nous sortons nos courgettes et notre riz pour accompagner. Il travaille dans une ferme à saumons. et nous précise qu’il ne mange pas le saumon de cette nouvelle ferme pour laquelle il travaille : trop d’antibiotiques donnés aux bêtes. Après le repas, il nous explique l’élevage : naissance des saumons dans les lacs, puis transport des bestiaux par camions et bateaux jusqu’aux fjords où ils grandiront par milliers dans des cages. A priori ils arrivent à nager… Quand ils atteignent la taille souhaitée, c’est l’heure de la cueillette : aspiration des saumons à l’aide de gros tuyaux. Ça fait beaucoup moins rêver tout d’un coup… Si à cela on ajoute le fait que les saumons et truites introduits ont pratiquement exterminé tous les autres poissons de rivière, nous nous sentons très proches des peintures murales disant “No a la salmonera”, “Aguas libres”. Mais Nato est lui, très généreux, et nous apprécions sincèrement tous les moments passés ensemble.

7. Du Paso Samore à Puerto Natales

7. Du Paso Samore à Puerto Natales

Retour au Chili, retour à la pluie. Fatigue de ce gris, de cette humidité. Nous arrivons à rester sec, mais à l’intérieur nous commençons à prendre l’eau. Fuites de toute part. Mais quelle idée de voyager à vélo ! Quelle idée d’être ici, là , maintenant ! Heureusement, Célestin et Leïla gardent le morale pour quatre, s’émerveillent du plus grand toboggan du monde, adorent l’atelier pain avec Liliarosa (et sont ravis de l’absence de douches!), se dessinent des ordinateurs tout inclus : météo, GPS, bibliothèque numérique, films, envois de message, boutique pour commander des vêtements et de la nourriture, cartes et même appel vidéo pour discuter entre eux !

Nous traversons des paysages de cartes postales, entre lacs et volcans. Les affiches sont là pour nous le rappeler, car des courbes parfaites du volcan Osorno, nous ne verrons que les pieds.

Puerto Varas. Il pleut. Soleil. Arc-en-ciel. Trombes d’eau. Très bonne boulangerie. S’attacher aux petits riens qui font tout. Retrouvaille avec Simon et Ronya. Célestin est heureux. Revoir les gens que nous croisons sur la route, savoir où ils sont, deviennent des repères importants. En plus « c’est bien pour les adultes de retrouver des copains avec qui discuter ! »

Puerto Montt. Il pleut. Soleil. Arc-en-ciel. Trombes d’eau. Le plus grand des parcs pour enfants encore jamais vu ! Prendre le temps de ces grands tout, qui parsèment le voyage de petits bonheurs.

Petit tour au port de pêche. Quelques lions de mer font les poubelles au milieu des restaurants. Les mâles se jettent dans les containers, tandis que les femelles préfèrent, elles, rester à l’eau…

Puerto Montt. Point de départ pour des mini-vacances sans vélo. « Petite croisière » de trois jours à  travers les canaux de Patagonie pour rejoindre Puerto Natales à quelques 2.000 kilomètres plus au sud. Nous rencontrons nos compagnons de route pour les jours à venir. Des voyageurs venus d’un peu partout, mais surtout pas mal de francophones. Les enfants sont contents de pouvoir échanger facilement. Nous mettons plus de deux heures à lever l’ancre. Drôles de cris au sous-sol du bateau… Nous nous demandons combien de doigts, le marin chargé de la manœuvre, a perdu… La réponse est rassurante (ou pas…), l’ancre est mal fichue et à chaque fois c’est la même galère au moment du départ. De quoi en perdre la voix !

De vraies vacances : pas de courses à faire, pas de repas à préparer, de vélos à entretenir. Il y a même des séances de yoga et la projection d’un documentaire sur les baleines ! Mais il y a surtout des paysages incroyables, entre continent et îles inhabitées. Plus nous descendons en latitude, plus la neige descend en altitude. Ce n’est pas pour nous rassurer, mais c’est beau vu du bateau ! Nous apercevons des souffles de baleines au loin, des dauphins de Patagonie viennent s’amuser sous l’étrave du bateau, des lions de mer glissent sur l’eau. Les enfants ne veulent plus descendre. Célestin se voit bien passer toute sa vie ici, sur le bateau, au milieu de ces paysages « si beaux ».

Arrivée magique à Puerto Natales. Le paysage s’ouvre sur la baie, les montagnes enneigées, un grand village coloré . Nous sentons la pampa toute proche. Et le soleil, le soleil !!! Mamamia, que c’est bon !!!

Dans la rue : « You are amazing guys !! » Une texane nous interpelle, à l’américaine, chaleureusement et sans retenue ! Les enfants la regardent complètement éberlués. Ni une, ni deux, ils se retrouvent avec une glace dans la main ! Célestin : « Alors ça alors ! T’arrives, y’a une femme qui te saute dessus les bras grands ouverts. Elle te dit que tu es son rêve. Elle t’invite à manger une glace. Elle paye. Tu choisis ton parfum et hop elle a disparu ! Quand est-ce qu’on va aux États-Unis ?!? »

5. De Curacautín au paso Huahum

5. De Curacautín au paso Huahum

Tempête de neige sur les hauteurs. Non, nous n’irons pas faire de randonnée dans le parc Conguillio,  à moins d’y aller  à ski de rando. Manque de bol, ce sont les maillots de bain que nous avons dans les sacoches ! Alors, on attend un peu plus bas, à Curacautín, sous la pluie. Nos hôtes, Nadia et Braulio, nous montrent une de leur activité préférée : le vélo de descente sur les volcans. Nous découvrons la godille à vélo sur cendres ! Ils nous emmènent faire du bloc. Célestin se réconcilie avec l’escalade. Leila est toujours à l’aise sur un mur. Depuis, ils grimpent sur toutes les prises qu’ils rencontrent et lorgnent du côté de toutes les auberges équipées du moindre pan !
Le soleil sort, en selle ! Direction Conguillio. Nous ne traversons pas le parc en son centre : trop de neige. Nous le contournons par l’ouest. Le goudron devient piste, ripio. Le ripio devient de plus en plus raide. Tout le monde met pied à terre. Commentaires des deux jeunes assistants qui m’aident à pousser le vélo derrière moi :  » Maman elle est vraiment forte. Il est hyper lourd son vélo !  »  » Oui, mais c’est papa le plus fort. « , « D’accord, mais maman elle porte la nourriture, c’est beaucoup. », « C’est vrai. Ils sont forts pareil alors. « , « Enfin, papa il est quand même plus fort « , « Ouais, t’as raison, ils sont forts tous les deux, mais c’est quand même papa le plus fort. « , « Hum, si je dérange, vous me le dites ! « . A force de pousser, tirer, déraper, nous finissons par arriver au col. Car, si c’est difficile, les enfants râlent, si c’est trop difficile, ça les amuse ! Exclamation sur la plateau qui suit, au pied du volcan Llaima « On dirait l’Afrique ! « . Alors, petite révision géographique. Nous ne sommes pas en Afrique, mais bien en Amérique du sud. Pour votre gouverne, il y aussi de la neige en Afrique et ce que vous voyez ce ne sont pas des baobabs, mais des araucarias. C’est entre autres pour eux que nous sommes venus jusqu’ici. Ces très vieux arbres ont effectivement un port assez particulier à nos yeux et surtout, ils sont couverts d’écailles, empêchant quiconque d’y grimper. C’est pour cela qu’en Europe nous les surnommons « désespoir du singe ». Ici, ils ont les pieds dans la neige, et nous, ce sont les roues qui s’y enfoncent ! Versant sud du col, la neige est encore présente. Nous ne savons pas sur combien de mètres ou de kilomètres. Il se fait tard. Vaut-il mieux descendre dans la neige fondue, se mouiller les pieds sans espoir de les faire sécher, mais gagner quelques degrés, ou camper en haut et passer le lendemain quand la neige aura gelée ? On coupe la poire en deux : on commence la cession ski-roue quand très rapidement une prairie s’offre à nous. C’est décidé, nous nous arrêtons. Les étoiles sortent. Le ciel est dégagé. C’est magnifique ! C’est froid… A peine avons-nous planté la tente qu’elle givre instantanément !

Le lendemain soir, nous sommes rattrapés par Diego, cyclo belge. Il a fait dans la journée ce qui nous a pris deux jours. Les enfants sont impressionnés ! Il a prévu de rejoindre Pucón en un jour, alors que nous en prévoyons quatre… Bon, nous n’avons pas planifié la même route. Il doit prendre la plus courte, goudronnée, nous nous offrons la piste dans la montagne… Nous passons la soirée ensemble. Le matin, il repart avant nous. Nous le retrouvons l’après-midi au bord du lac Colico. Interrogation. Il avait finalement opté pour ce qu’il pensait être notre plan : un raccourci à travers la montagne. Mais pas du tout, ce que nous avons prévu c’est le loooonnnng détour par la vallée à l’est. Le raccourci qui apparaît sur certaine carte, nous avions bien vu que ce ne devait être qu’un sentier peu praticable a vélo ! Effectivement, il y a été, a tenté, a renoncé. Un pick-up passe à notre niveau. Il l’arrête et met son vélo dans le coffre, espérant toujours rejoindre Pucón le soir même. Les enfants sont estomaqués « C’est facile. T’arrête une voiture. Tu demandes et hop elle t’emmène ! Mais pourquoi on fait pas ça ???? « 
Colico. Les enfants sont supers motivés pour se baigner dans le lac. Ok, mais c’est aussi pour se laver. Ils mettent un orteil, deux, et décident que non, pas de baignade aujourd’hui et pas de douches non plus ! Trop froid. Allala, tout ça c’est affaire de technique les gars :
1. Se mouiller d’abord les jambes. Sortir de l’eau. Se savonner.
2. Mouiller le haut du corps. Sortir de l’eau. Se savonner.
3. Profiter de la minute ou le corps est anesthésié par le froid pour se mettre entièrement dans l’eau et se rincer.
4. Pour finir, sortir, se sécher et s’habiller chaudement avant que l’anesthésie prenne fin !
Ah, oui, et avant tout ça, trouver un endroit le plus possible à l’abri du vent et mettre ses affaires à l’abri de la pluie…

Réveil sous un ciel bien chargé. Nous voyons les averses arriver par l’ouest du lac. Le vent nous pousse vers l’est. C’est de bonne augure car c’est aussi plat au bord du lac qu’au bord de l’océan… La piste s’éloigne de l’eau pour contourner les résidences secondaires cossues, rejoindre des hameaux perdus. Deux écoles, une privée, une publique, mais où sont les habitants ??
A midi les vaches nous regardent faire une pause. Nous sommes « seulement » au bout du lac, alors que nous avons dû faire le dénivelé estimé pour la journée, les 600m pour atteindre le col. Il pleut. Le vent forci. Il fait froid. C’est reparti. On attaque la côte, la vraie. Cette fois ça monte direct, raide, pas de descente. Ça devient plus plat. Le col ? Non, ça monte toujours. Il fait de plus en plus froid. Nous nous rhabillons, mettons tout ce que nous avons quitté dans la montée. Un pull, deux pulls, doudoune, bonnet, gants. Une femme, derrière la vitre d’une cabane perdue, nous regarde passer. Nous sommes frigorifiés. Les mains, les pieds sont gelés. Très difficile à réchauffer. Ça craque. Ça pleure. Pause goûter. Tartine au miel. Ça réchauffe le cœur. Un peu. Mais pas le corps. Bouger, courir, garder le rythme, avoir de l’énergie pour quatre. Repartir. Ça y’est la rivière coule enfin dans l’autre sens. Nous avons changé de bassin versant. Descendre, gagner des degrés avant la nuit. Nous nous mettons à couvert sous les arbres. Les enfants ont retrouvé le sourire. Ouf! C’est parti pour une cession cabane en attendant le repas.
Le lendemain, petite balade dans la forêt aux sorcières. Les arbres ont encore leurs tenues hivernales, sans feuilles, mais sont couverts de lichen, les « barbas de viejo « . Puis nous descendons dans la vallée. Quelques belles côtes quand même, car comme dit Leila « Quand ça monte, ça monte, quand ça descend, ça monte encore ! « . Un gaucho inspecte ses clôtures à cheval. Une épicerie ambulante ravitaille les fermes perdues sur les hauteurs. Petit à petit la vallée se peuple. Ce bout du monde qui nous semblait un poil lugubre sous le ciel gris hier, nous apparaît bien plus rieur aujourd’hui. Les attelages de bœufs sont aux travaux dans les champs. Les enfants empruntent des passerelles suspendues pour rentrer de l’école. Deux cavaliers tirent un cochon en laisse. Nous posons la tente dans le gymnase du collège. Où sont nos enfants ? Dehors, assis cote a cote, absorbés dans la contemplation du ciel étoilé.

Il nous reste quelques kilomètres de ripio bien poussiéreux, puis pas mal de kilomètres de goudron avant de rejoindre le carrefour où nous devons retrouver Juliette, notre hôte dans les environs de Pucón. Après la pause de midi, il nous reste 40 km. On est motivé, on y croit. Petit arrêt au bout de 15 km. Un pick-up s’arrête à notre niveau. C’est Juliette ! Même pas besoin de faire du stop ! Hop, elle nous embarque et ma fois, nous ne sommes pas mécontents d’avoir un moteur sous les fesses… Le petit coin de paradis perdu dans la montagne ou elle habite avec Francisco et leurs enfants se mérite ! Pas certain que l’on aurait encore eu la force de faire tout ce dénivelé aujourd’hui. Pucón. Ville au pied du volcan Villarica, Volcan majestueux, un cône parfait comme on aime les dessiner. Il y a quelques semaines, nous n’étions pas certains de pouvoir venir ici. Villarica était en train de se réveiller, mettant la région en alerte. Les écoles ont fermées. Mais finalement pas d’ordre d’évacuation. Le volcan s’est rendormi. Aujourd’hui, il ne s’échappe qu’un peu de fumée de sa cheminée. Normal, on nous dit. Ça reste impressionnant à nos yeux de novices. Avec Juliette et sa famille, nous allons nous balader au pied du volcan Llamin. Forêt de nothofagus coiffés de lichens. Pas de pique-nique au bord du lac. L’eau est montée haut cette année, recouvrant les plages si joliment décrites. Ils nous emmènent jusqu’à la frontière argentine. Paysages lunaires peuplés d’araucarias préhistoriques. Au retour de rando, Villarica fume davantage que ces derniers jours. Ça nous impressionne, mais pas d’alerte en vue, nous rentrons tranquillement à la maison.
C’est reparti! Nous décidons de traverser le parc Villarica. Nous savons qu’il y a une belle côte, mais…on triche ! Juliette a proposé de nous monter sur une partie du trajet. Nous avons volontiers accepté ! A l’entrée du parc, le garde nous dit que la piste est fermée aux véhicules à cause de la neige, mais aussi parce que personne n’est aller vérifier si ça passait. Pour les vélos pas de problème et il nous ouvre la barrière. Derrière, nous attendent cinq kilomètres de piste bien raide, bien défoncée, avec des ornières impressionnantes (mais comment les véhicules font pour passer?). Il fait beau. Tout le monde a fait le plein d’énergie. Arrivés au col, nous profitons d’une vague de chaleur pour continuer à pied en direction du glacier. Grimpette dans les araucarias puis la forêt s’ouvre sur les montagnes et volcans enneigés. C’est magnifique ! Nous montons un peu plus haut pour retrouver Villarica et ses pets de fumée. Descente en ski-basket. Forcément, on a les pieds trempés. Célestin  » La balade c’était bien, la neige, c’était bien, mais maintenant j’ai les pieds congelés comme des saucisses !  » Nous plantons la tente sous les nothofagus. Est-ce dû à leur taille ? A leur grand âge ? Il se dégage de ces forêts une force apaisante. Nous sommes enveloppés par leur majesté. Les étoiles brillent au-dessus de la canopée. Il est l’heure de dormir. Bonne nuit les petits. Dans la descente, nous nous l’étions promis, arrêt aux thermes El Rincon. Des semaines que nous rêvons de ces eaux chaudes qui jaillissent un peu partout aux pieds des volcans. Mais celles-ci sont fermées, en travaux. Nous discutons avec les ouvriers et le patron avant de repartir quand tout à coup celui-ci nous dit « Allez, vous pouvez y aller. 45 minutes, pas plus. Après on s’en va. » Et nous voici à nous glisser nus dans l’eau chaude, au fond d’un petit vallon, au pied d’une cascade. Seuls au monde pour un moment de félicité. Hummmm. Routes des 7 lacs (chiliens). Dernier coup d’œil à Villarica. Petit pincement au cœur. C’est que l’on s’était habitué à sa présence. Il a été notre repère ces dernières semaines. Notre phare. Nous aimions ses pentes enneigées, sa petite fumée. Célestin se rassure « Quand on reviendra sur notre route vers le nord, on va bien le revoir ? » De lacs en lacs, de volcans en volcans, nous nous approchons de l’Argentine. Deux heures de ferry, dix petits kilomètres et ça y’est nous sommes à la frontière.
4. De Concepción à Curacaotín, du Pacifique aux Andes

4. De Concepción à Curacaotín, du Pacifique aux Andes

Concepción, Conce, ville rock, ville rebelle. Pour nous quelques belles soirées passées avec Léo, Nicolas, Ronya et Simon, à discuter histoire et politique, défense des cours d’eau et aménagement routier. Et vélo ! Léo est LA figure locale des défenseurs du vélo. A l’occasion de la journée sans voiture, il doit être interviewé et nous propose d’apporter notre grain de sel. Célestin est très fier de passer à la télé ! (locale ;)) Balade dans la ville aux murs couverts de peinture, certaines poétiques, d’autres très politiques. Après avoir réalisé « un guide » de survie avant le départ, Célestin, inspiré, s’attaque aux plans de la révolution !

Départ de Conce par une belle journée de printemps direction la gare pour nous faire gagner facilement quelques kilomètres vers le sud et les Andes. Nuit au bord de la rivière, et de la voie ferrée. Deux paires d’yeux nous épient dans le noir. Des trains de marchandises passent. Tout… Dou… Ce… Ment…

Le lendemain nous nous envolons sur l’autoroute du futur ! En réalité une 2×2 voies en construction. C’est dimanche, pas de travaux, nous profitons de longs tronçons goudronnés, mais pas encore ouverts aux voitures. Royal ! Même si ça semble un peu sur-dimensionné…

À Los Sauces, Víctor nous aborde. Il nous a entendu parler français et propose de nous inviter chez lui. Il a habité six ans en France, de 1979 à 1986. Parti chercher du travail, laissant femme et enfants au pays. Il a aimé se former à l’électricité, l’ambiance avec les camarades à l’usine. Puis il est rentré. Enfin. Il est parti travailler dans les mines, au nord. Trois semaines là-bas, une semaine chez lui. Les mines à plus de 4.000 mètres d’altitude. Le campement entre 2.500m et 3.000m. Avion et bus affrétés spécialement par les compagnies pour faire venir des travailleurs de tout le pays. Là aussi la camaraderie fait tenir. Victor chante aussi. Des chansons d’amour. En espagnol et en français. Aujourd’hui, Victor est seul. Sa femme l’a quitté. Il est un peu triste. Se demande à quoi bon toute cette vie à travailler loin de chez lui. Hier c’était son anniversaire. Il partage avec nous ce qu’il reste du gâteau. Nous partageons avec lui nos pâtes à la carotte, puis il allume le micro…

Le lendemain, une longue ligne droite nous attend. Et comme toutes les lignes droites, elle n’épouse pas les courbes des collines, mais leur passe dessus, sans ménager les cyclistes ! Beaucoup de forêts, de pneus, de maisons et de cabanes brûlés sur le bord de la route. Nous croisons tank et camion amphibie militaire. L’après-midi nous passons devant l’entrée d’une piste gardée par des militaires masqués. Nous sommes en Araucanie. Dernier des territoires mapuche à avoir rendu les armes face au jeune état chilien. Car, non les Amériques n’étaient pas des déserts à l’arrivée des conquistadors, pas plus qu’elles ne l’étaient quand on a commencé à distribuer des terres aux colons. Aujourd’hui, les mapuches réclament ces terres qui leur ont été volées. Dans les arbres, au bord des champs, des forêts, à l’entrée des pistes, nous pouvons lire « Libertad P.M.M. Recuperation Territorial ».

En ligne de mire, apparaissent les volcans enneigés. Ils seront nos repères pour les semaines à venir. Ce soir nous dormons au bord d’un lac artificiel, avec pour toile de fond ces géants bienveillants. Les enfants se baignent… en doudoune ! Les pieds anesthésiés par le froid, il faut les forcer à sortir. Mais les fesses, elles, sont restées bien au sec ! Nous longeons des champs de noisettes qui partiront alimenter les usines de pâte à tartiner. Après Victoria, des panneaux sur la route « raclette et camembert »! Adèle nous attend au fondo Mondio. Elle est la jeune gérante d’une ferme appartement à une fondation ayant des liens forts avec la France . Ceci expliquant cela. Le soir, Leïla me dit « on est bien ici, c’est presque comme à la maison. On a un lit pour nous tout seul et des couettes. Enfin des couvertures, mais c’est presque pareil ! » En plus, il y a la douche du futur : eau chaude, jet d’eau et musique ! On s’y endormirait presque. Le tout, c’est d’en sortir. La salle de bain doit avoisiner les 10 degrés ! On est bien ici. La ferme emploie une petite vingtaine de salariés dont la plupart vivent sur l’exploitation avec leur famille. Une ambiance chaleureuse règne. Plaisir des repas pris ensemble. Douceur des balades entre lac, champs et forêts. Célestin taille un lance-pierre. Joachim, l’amoureux d’Adèle, lui en fabrique un avec un haut de bouteille en plastique et des ballons de baudruche. Léo, l’administrateur technique de l’exploitation, rentre de weekend avec un lance-pierre pour chacun des enfants. Les plans de la révolution s’affinent… Petite journée facile pour rejoindre Curacautín, notre porte d’entrée pour les Andes.

3. De Santiago à Concepción, de la vallée centrale au Pacifique

3. De Santiago à Concepción, de la vallée centrale au Pacifique

Autant l’avouer tout de suite, les deux premières semaines de vélo au Chili n’ont pas été des plus plaisantes. Dure, dure, la route rythmée par le bruit des voitures et les aboiements de chiens. On reste perplexe quand la piste cyclables termine sur l’autoroute, mais on sourit en voyant le nom du pont qu’il nous faut alors traverser : « Peor es nada « ! Tout va bien !

Quand la pluie s‘y met, c’est un peu la déprime sur la route qui mène à l’océan Pacifique… Leïla tombe alors qu’elle est accrochée à Florent. Leïla pleure. Leïla se relève. Leïla est forte. Deux minutes plus tard, elle repart. C’est sans doute la plus forte d’entre nous !

Nous traversons des villages ravagés par les inondations des dernières semaines. Le fleuve est monté haut, déposant des tonnes de limon dans les champs, les rues, les maisons, emportant des parties de route. La terre n’a pas encore réussi à absorber toute l’eau tombée, tout est détrempé, encore inondé.

Fin de journée à Hualañe. Épreuve du supermarché, j’ai la tête qui tourne devant les fromages qui se ressemblent tous. Chanco, gouda, quesillo, mon œil novice  n’arrive pas à en choisir un !  Un repère comme un phare rassurant : le marchand de fruit et légumes. La nuit tombe, oú dormir ? Depuis le début, la campagne n’est pas propice au camping : tout est fermé, grillagé, barbelé, cadenassé, les maisons, les champs, les forêts, même les réserves naturelles ! Lors d’une balade dans un parc dans les hauteurs de Santiago, Célestin de s’exclamer « Tiens la porte de la nature ! » et Leïla d’ajouter « Mais, si ils mettent des grillages pour protéger les animaux, comment ils peuvent sortir du coup ? ». A Hualañe, la nuit tombe, hostal et hosteria sont fermées, oú aller ? Nous allons rendre visite aux pompiers. Nous ne pouvons pas dormir á la caserne, il n’y a personne cette nuit. La jeune de garde nous propose de profiter d’une pièce vide chez sa tante. Finalement nous partagerons avec elle le grenier de son père. Toute la famille part faire la fête après nous avoir fait des lits biens chauds !

A l’inverse de toutes ces barrières, les chiliens nous ouvrent grand leurs portes ! Est-ce le froid ? la pluie ? la présence des enfants ? notre bonne étoile ? plus surement et tout simplement leur gentillesse. Un soir, dans la cuisine d’une vieille et belle maison de ferme,  Célestin me demande tout bas « Combien de temps on reste au Chili ? « Quelques mois. » « Super ! Ici il y a toujours de grandes tables avec plein de choses à manger ! » (Spéciale dédicace à Jorge et Gallia 😉 )

C’est dimanche. Moins de circulation, c’est plus agréable. Crachin breton qui mouille pas mal. Pause de midi dans une école désaffectée. C’est déglingue, mais il y a des jeux pour se faire les muscles, comme dans pratiquement tous les villages. Les enfants adorent ! On dirait que rien ne les surprends. Ils s’adaptent à tout sans se poser de question, dorment n’importent oú. Ils sont heureux même sous la pluie et dans la boue ! Sans nul doute parce qu’ils vivent l’instant présents. Ils n’ont pas froid (vive les doudounes et les pantalons de pluie), n’ont pas faim (toujours avoir du patatores dans ses sacoches) et ne se préoccupent pas de la route à prendre, ni de là oú l’on va dormir (« Vous savez pas oú camper, bin, on va demander! »).

Des dunes noires nous annoncent l’océan. Les enfants, sachant qu’ils ne pourront pas profiter des pentes de l’aigle cet hiver, tentent de les descendre en luge de cartons ! Échec. Mais belles rigolades!

Atteindre l’océan nous fait du bien. On découvre un camping sur la plage mis a disposition par la municipalité de la Trinchera : de beaux abris aux couleurs des oiseaux d’ici, avec un point d’eau. Des tables et bancs à l’abri du soleil et de la pluie, un platelage bois pour les tentes : pas très pratique pour nous. On s’installe sur les bancs, on bouche les espaces entre les planches des  trois « murs » pour lutter contre le vent. Nuit bercée par la pluie qui tombe. Le vent tourne, ouille, est-ce que les duvets vont se mouiller ? Flemme de bouger, je me laisse bercer.

11 septembre, c’est l’anniversaire du coup d’état de Pinochet. L’occasion d’évoquer avec les enfants les dictatures, les disparitions forcées, et surtout l’importance de se battre pour que tous, de part le monde, nous ayons notre liberté de penser et de nous exprimer.

Les routes le long de la côte ne sont jamais plates, pas davantage la côte chilienne que la côte normande, au milieu du bal des grumiers c’est rude ! « Pourquoi les arbres sont en ligne ? » « C’est ainsi que l’on fait vivre les arbres ici… ». Des hectares et des hectares de pins et d’eucalyptus, bien rangés, bien barricadés. Ça monte et ça descend sec. Les enfants assurent ! Aujourd’hui, premier vrai camping « sauvage » au bord de la rivière. Au moment de se coucher : « Célestin, c’est toi qui a planté le bâton ? » « Oui, mais il est dans l’eau, je l’avais pas mis dans l’eau ! » « … ». Nous couchons les enfants. L’eau monte. La rivière coule toujours dans le même sens. L’eau monte encore. Quand atteint-on le point critique de l’évacuation ? Est-ce que ça peut être la marée ? Personne à qui demander. Les maisons sont éclairées, les télé allumées, mais pas âmes qui vivent. A-t-il plu plus haut ? D’après la carte, le bassin versant n’est pas trop important, donc peu de risque de débordement au vue des dernières pluies de ce côté là. L’eau monte encore. Un peu inquiets, on range toutes les affaires possibles sans réveiller les enfants… Une vague arrive de l’estuaire, c’est donc bien la marée qui monte ! Heu, mais jusqu’où ?? Les dernières traces laissent penser qu’elle va monter sur une bonne partie de la piste, mais que la tente devrait rester au sec. On re-déplie les matelas. Les enfants dorment toujours. Nous gardons un œil et une oreille ouverts… C’est que se réveiller au milieu d’un fleuve sorti de son lit, nous connaissons. Il y a quelques années, le Baker, le fleuve du Chili au plus gros débit. Un barrage naturel avait rompu en amont. Profondément endormis nous n’avions pas entendu l’eau monter et nous nous étions réveillés au son d’un joli clapotis. L’eau nous entourait de toute part, au ras de la tente ! Il s’en était alors fallut de peu… Au réveil, les enfants s´’étonnent « l’eau, elle est montée, il faut partir ! » « Humhum, laissez-nous dormir… ».

Pour s´éviter le trafic et profiter des belles vues sur l’océan, nous partons sur les pistes. Ouch. C’est pire ! Des pentes à  plus de 25% ! On n’a jamais vu ça ! Les enfants sont sur les pédales. Leïla est tirée par Flo quand c’est difficile, puis seule quand ça devient trop difficile ! Célestin : « Mon poids en sandwich pour avoir grimpé cette côte! »,  » J’espère qu’après ils nous récompensent par une descente ! ». Les enfants inventent des mots « Quel est l’âne qui a construit cette route ? » « Un anio = un âne idiot! ». La journée est récompensée par quelques belles descentes, mais si abruptes qu’elles ne sont pas vraiment reposantes ! La vraie médaille : un magnifique bivouac à l’aplomb de l’océan, coucher de soleil à l’abri du vent. Et ça, ça vaut bien toutes les côtes du monde !

Journée de folie pour rejoindre Concepción, seconde ville du Chili. Encore quelques kilomètres de ripio bien raide avant de retrouver l’asphalte, puis route bien circulée de Dichento à Temo. Ensuite sur les recommandations des locaux (et contre l’avis de Léo, notre contact à Conce), nous prenons la route alternative : une ancienne voie ferrée abandonnée de la côte. Au début tout va bien, c’est plat, pas de voiture. Puis ça se complique quand flaques et boue prennent de plus en plus de place, un peu plus quand il faut passer sur ou à travers des arbres tombés lors des dernières tempêtes et vraiment, quand tout simplement la piste, après un tunnel obscure, devient sentier étroit avec ballaste et traverses sous les pieds. Heureusement le paysages est beau sous le soleil!  Retour à la civilisation en arrivant au port de Lirquen et nouveau départ sur les routes alternatives : une piste qui traverse une zone humide protégé… une piste bien inondée ! Pour s’éviter la baignade, on monte sur la voie ferrée, en état de marche cette fois. Des promeneurs du soir nous rassurent : ça ne passe que de temps en temps, le dernier train date d’il y a une demi-heure… On avance vite, un œil devant, un œil derrière. Retour sur la piste, la nuit tombe peu à peu. Célestin me chuchote avec un petit sourire « je n’ai jamais vu papa aussi pressé ». Il faut dire qu’entrer dans une grande ville par les faubourgs déglingues, au milieu des chiens, n’est jamais agréables, encore moins de nuit, pas plus que la 2×2 voies qu’il nous faut prendre… Heureusement, il y a une bande d’arrêt d’urgence et un échappatoire rapide. Enfin nous arrivons ! Léo, Nicolas et Daniela nous accueillent à bras ouverts. Simon et Ronja ont préparé un grand repas. Ayant pris les mêmes chemins quelques jours avant, ils se doutaient de l’état de nos estomacs ! Merci à tous !!!

2. Santiago !

2. Santiago !

Cap au sud ! heu, non, à l’ouest !

Vol de nuit. Nous quittons la France sous l’œil rassurant de la pleine lune. Elle va nous accompagner une bonne partie du trajet, baignant d’une lumière magique la côte et l’océan. Nous ne pouvions rêver plus beau cadeau de départ ! Le survol des Andes est tout aussi extraordinaire.

Nos amis Jorge et Gallia nous attendent à notre arrivée à Santiago. Plaisir des retrouvailles. Ils n’ont pas changé. Seul le petit Santiago de Grenoble a bien grandi et nous faisons la connaissance de la grande Laura.

Choc thermique. C’est la fin de l’hiver ici, nous l’avions oublié (occulté ?). Ce n’est pas que les températures soient extrêmement basses, mais il fait gris et humide. Tous ensemble nous allons chercher le soleil et les couleurs à Valparaiso. C’est beau ! Au retour à Santiago, nouvelle plongée dans les cartes, la météo… Nous pensions aller rapidement dans le sud en bus, mais il y a encore pas mal de neige á moyenne altitude, nous mettrons donc le cap l’ouest direction l’océan.

Demain, premiers coups de pédales sur les routes chiliennes !

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