13. Frontière des deux lacs. Argentine > Chili

13. Frontière des deux lacs. Argentine > Chili

Samedi 3 février. Ça y’est c’est le départ d’El Chalten ! Lever tôt, pour éviter le vent, mais dans le froid et l’humidité, brrr. A 10h , dernier passage à la boulangerie, le soleil se lève, le vent avec, de face, obvio ! Mais il nous laisse partir, plein nord, contourner le Fitz Roy et avoir un dernier regard plein de lumière sur ce géant. Nous avançons tranquillement, la rivière déborde parfois un peu sur la piste, et ça y’est nous arrivons au bord du lac del desierto.

Ce passage de frontière est un peu particulier. Il n’y a pas de route, deux lacs à traverser, un premier côté argentin pour nous, puis un deuxième côté chilien, et un sentier pour passer le col entre les deux. Un sentier longe le lac du désert, côté argentin, pour ceux qui ne voudraient pas prendre le bateau, pour ceux qui veulent profiter d’une belle balade et pour ceux qui arrivent trop tard dans la saison et n’ont pas d’autres choix que de marcher… C’est ce qui nous était arrivé il y a douze ans… Le sentier ne fait que 12 kilomètres, il nous avait alors fallu un jour et demi pour le parcourir à vélo, ou plutôt à pousser les vélos, car sur le chemin, il y avait troncs, ornières trop étroites pour les sacoches, des montées et descentes bien raides, passage de ruisseaux et zones marécageuses. Nous étions alors deux couples à s’entraider et, au bout du chemin, nous étions d’accord pour nous dire que nous n’étions pas trop de quatre pour nous épauler et éviter de craquer ! Comme il paraît que les cyclos rencontrent toujours les mêmes réjouissances et que nous aimons les bateaux, nous avons pris l’option lacustre. Alors que nous pensions prendre le bateau du lendemain, le soir même, à notre arrivée, une embarcation est sur le départ et accepte de nous prendre. On en profite en se disant que si l’on peut gagner un jour ce sera toujours ça de gagné… Car nous savons que si le passage du col ne nous effraie pas trop, la traversée du lac chilien, le lago O’Higgins peut être plus compliquée. Ce lac-ci subit davantage les assauts des vents patagons et la navigation est soumise à l’autorisation de la marine chilienne qui donne, ou non, son accord en fonction de la météo… Il arrive que les bateaux ne puissent pas traverser pendant plusieurs jours et nous avons a priori vu une fenêtre météo le surlendemain. Gagner du temps nous aidera à l’attraper! Alors ce soir nous dormons sur la pelouse de la douane argentine, avec un paquet d’autres voyageurs, cyclos ou randonneurs, en route, eux, pour le sud.

Dimanche 4 février. Célestin se réveille malade. Grosse fatigue, mal au ventre. Les gendarmes n’autorisent les voyageurs à ne passer qu’une nuit sur leur terrain. Malgré nos demandes, il nous faut partir. Après avoir fait les formalités de sortie d’Argentine, nous formons le convoi, car dès le début il faut pousser les vélos : Flo avec celui de Célestin, une corde pour aider Leila, et moi derrière. Très vite, nous laissons des vélos sur le bord pour les pousser à deux, on commence les aller-retours. Célestin s’allonge à chaque pause, incapable de pousser le sien, même sur le plat. Puis c’est le passage des rivières, tout défaire, passer les ponts de troncs vélo sur l’épaule, tout réarmer. Single entre les racines, passage de troncs et hornieres étroites. Célestin remonte en selle. On avait oublié combien ce chemin pouvait être difficile. Il faut dire qu’en sens inverse, à la descente, il ne faut pas pousser les vélos, et que nous en avions tellement bavé le long du lac du désert que nous avions oublié les difficultés qui précédaient!

Fin de journée, nous sortons de la forêt, le sentier devient piste, enfin nous arrivons au col, à la frontière ! Leïla nous dit “un bras en Argentine, un bras au Chili. Je veux rester en Argentine le plus longtemps possible, au Chili les côtes sont trop dures!”. En attendant, celle-ci, elle était pas mal! Ça aura été notre journée la plus courte en kilomètres et une des plus longues en temps : plus de 8h pour faire 9km, et encore nous nous sommes rattrapés sur les 4 derniers kilomètres de descente après la frontière pour rejoindre un endroit où  poser la tente!

Lundi 5 février. Départ avec l’espoir d’attraper un bateau pour traverser le lac dans la journée. Nous poursuivons la descente jusqu’au lac. Il fait beau. Ses eaux bleues azur nous tendent les bras. Avant le poste de douane un panneau fait rire les enfants “interdit d’entrer dans les légumes” en français dans le texte!

Le carabinier nous accueille pour les démarches d’entrées. A priori pas de bateaux aujourd’hui, peut-être mardi, peut-être jeudi, peut-être vendredi… Nous allons sur le quai, appréhender les lieux, pique-niquer, faire sécher tente et duvets, profiter du calme. Une argentine vient pêcher. Elle loge à l’auberge. Elle est arrivée hier et attend un bateau. Un allemand passe, il attend aussi. Peut-être mardi, peut-être jeudi, peut-être plus tard… Fin d’après-midi, toujours pas de bateau. Nous retournons sur une belle pelouse aperçue à notre arrivée. Un endroit superbe pour planter la tente. Balade au bord du lac et cueillette de groseilles à maquereau. Nous nous régalons! Une famille cochon vient nous rendre visite. Flo cherche l’endroit abrité du vent pour planter la tente. Ce sera sous des épicéas. On sent que des colons sont arrivés ici avec plantes et graines de chez eux : groseilles, menthe, épicéas, mélèzes, c’est rigolos de trouver toutes ces plantes ici.

Il se fait tard, les enfants sombrent dans le sommeil. Des pêcheurs de retour du lac passent devant nous et s’arrêtent “ce n’est pas possible de camper ici”, “comment ça? ». “Non, le seul endroit habilité est le camping au bout de la piste”. On essaye de négocier, les enfants dorment, Célestin est malade, on promet d’aller au camping le lendemain. Le pécheur-carabinier nous explique que toute la zone appartient à une seule famille et qu’il y a un accord avec cette famille : le camping sauvage est interdit et toutes les personnes de passage doivent aller au camping. D’autant plus qu’il est très dangereux de faire du camping sauvage : il y a des renards, des chutes d’arbres, des pumas, le danger des incendies, etc. Nous réprimons un sourire à l’annonce des renards et on tente de rassurer tout le monde en disant que nous ne faisons jamais de feu. Le carabinier accepte d’aller négocier avec son chef quand une voiture s’arrête et qu’une femme arrive… très en colère! Ça fait des heures qu’elle nous cherche, qu’ils font des allers-retours sur la piste pour nous trouver! Sa famille est propriétaire de la montagne, c’est interdit de faire du camping sauvage, nous sommes obligés d’aller au camping. Tout de suite. Le carabinier la calme en lui disant qu’il est en train de nous expliquer tout ça. Elle peut partir, il va s’occuper de nous. Une fois la voiture loin, il se tourne vers nous. “Maintenant qu’elle vous a vu, je ne peux plus rien faire, il va vous falloir tout ranger et aller au camping”. Entre-temps la nuit est tombée. Noire d’encre. Une petite voix se fait entendre sous la tente “On a pas le droit de camper ici? Il faut aller au camping?”. Les enfants comprennent très bien l’espagnol… Heureusement Célestin a pris un paracétamol une heure avant. On range tout, réarme les vélos et c’est parti pour les quelques kilomètres jusqu’au bout de la piste. Arrivée nocturne au camping, on y voit pas grand chose. On appréhende un peu. La dame nous accueille. Finalement bien plus détendue et souriante qu’une heure avant… Elle s’inquiète pour les enfants, pour Célestin surtout, et leur offre des gâteaux! Ouf, si il faut que l’on reste plusieurs jours ici, autant que cela soit en bonne entente avec les locaux!

Mardi 6 février. Nous sommes connus ici! La dame a passé son après-midi et sa soirée de la veille à aller voir les uns et les autres pour savoir qui nous auraient vu, qui sauraient où nous étions… Bonjour la réputation ! Mais tout cela est vite oublié, chacun se demandant surtout quand sera le prochain bateau… Il y en a un qui est arrivé tôt ce matin. Les passagers sont encore secoués par la navigation visiblement très agitée. Je vais voir le capitaine, il me dit que la marine a “fermé” le port et que dans tous les cas, même si il a l’autorisation de sortir, c’est lui qui décide ou non de traverser. Il semble lui aussi assez secoué. Et pourtant, le calme a l’air de régner sur le lac. Le vent est décidément bien facétieux dans ces contrées…

Mardi, mercredi, jeudi, comme tout le monde, nous attendons. Chaque jour de nouveaux voyageurs arrivent, et attendent.La petite phrase « Quien se apura en la Patagonia, pierde su tiempo », ce ne peut pas être plus vrai! Les enfants partent en cueillette. Célestin sort sa canne à pêche. Nous nous rendons compte que nous ne savons absolument pas la faire fonctionner. Heureusement certains ont le savoir-faire ici. Et Flo finit par attraper notre première truite!

Ici, à Candelario Mancilla, habitent une seule famille et les carabiniers chargés de la surveillance de la frontière. Pas d’épicerie. Petit à petit, les vivres s’amenuisent. La dame du camping fait du pain tous les jours pour nourrir ses hôtes, elle vend un peu de riz. Flo et Leila sombrent dans la maladie à leur tour et disparaissent sous la tente. Avec Célestin, en phase de guérison, nous essayons d’aller pêcher. Mercredi, la dame du camping a des nouvelles : a priori un bateau devrait arriver le lendemain matin, à 6h. La petite communauté décide d’organiser un asado pour le soir même. Son mari va tuer une vache dans la montagne. Tout le monde se retrouve autour des gros morceaux de viande puis va se coucher. A minuit, deux veilleurs font le tour des tentes : le port reste fermé, finalement il n’y aura pas de bateau demain. Retour au dodo.

Nouvelle journée d’attente sous le soleil. Une rumeur enfle, il y aura peut-être une fenêtre météo demain. La dame du camping ne veut s’engager sur rien, elle ne veut pas être à l’origine de nouvelles déceptions. La vie continue. Le soir arrive, toujours pas de nouvelles. A priori le port est ouvert et un bateau est en route, mais nous doutons de tout désormais. Les malades vont se coucher. 23h : cris de joie dans la nuit, le bateau est en vue! A minuit les veilleurs font à nouveau le tour des tentes : rendez-vous demain à 5h sur le ponton. On part!!!

Vendredi 9 février. Grand départ aux aurores. Personne ne râle pour se lever dans la nuit! Tout le monde embarque dans le premier bateau. Sacs à dos, vélos, passagers. “les gamins peuvent se mettre là”. Tiens, étrange il parle bien français ce chilien pour prononcer le mot “gamin’… Les gamins en question se rendorment vite. Le capitaine annonce qu’il y a le wifi sur le bateau. Ça nous semble un peu surréaliste après les quelques jours passés à Candelario Mansia… Les amarres sont lâchées. Le bateau se fait très rapidement brinquebaler sur les vagues. Ça secoue dans tous les sens. Petite pensée pour les vélos juste posés sur le toit du bateau… Le bateau en question est plutôt une embarcation faite pour les lacs aux calmes que pour les vagues patagones proches des vagues bretonnes. Si ils ne peuvent pas toujours traverser, c’est que l’embarcation n’est peut être pas la bonne pour ces meteos… Enfin, ça c’est que l’on pense nous.

Arrivée au port de Villa O’Higgins dans les lumières du petit matin. Il y a la barcasa La Integration, celle que nous avions pris il y a douze ans. Souvenirs, souvenirs… Flo voit passer le responsable de notre bateau “Tu ne trouves pas qu’il ressemble à Daniel?”. Nous l’apostrophons : “Tu parles bien français dis donc !? – Oui – Tu as habité en France? – Oui – À Grenoble ? – Ouii – Tu as fait la légion étrangère? – Ouiii – Il y a une douzaine d’années, tu t’entraînais pour piloter des avions ? – Ouiiii, mais comment vous savez tout ça??? – On a passé plusieurs jours avec toi il y a une douzaine d’années !!”. Retrouvaille émouvante. Daniel, nous invite tout de suite à aller dans le camping qu’il vient d’ouvrir avec sa femme à Villa O’Higgins. Aujourd’hui il doit faire plusieurs aller-retours sur le lac, mais demain on aura le temps de discuter.

Villa O’Higgins. Nous prenons notre temps. Le temps de se remettre les uns après les autres des microbes qui nous ont bien séchés ces derniers jours (covid?). Le temps de passer du temps avec Daniel, Sophia et Daniela. Le temps d’aller pêcher, de faire le meilleur asado (barbecue) de notre voyage, d’apprendre à cuisiner la truite de trois façons différentes : fumée, au feu, en papillote, de goûter à la viande de cheval et de manger une glace!

Puis, il est temps de se remettre en route. Ce sont 1.246 km qui nous attendent dont la moitié en ripio… Le départ est très émouvant. Daniel a les larmes aux yeux. Les filles voudraient encore, toujours, jouer ensemble. Célestin  a bien l’espoir de pêcher encore pleins de truites et de les faire cuire sur des pierres préalablement chauffées, au bord de la rivière. Allez, Yala, davaï. Il faut y aller!

12. Massif du Fitz Roy

12. Massif du Fitz Roy

Dès notre arrivée à El Chalten, nous regardons la météo. Nous le savons, ici il faut savoir profiter des (rares) fenêtres que Zeus est susceptible de nous offrir. La carte nous propose de relier les deux randos que nous voulions faire pour en faire une grande. Sauf que la liaison entre les deux n’est autorisée que dans un seul sens, et bien évidemment pas celui que nous voulions. Ce sera donc deux randos que nous ferons. La météo dicte l’ordre. Nous partons pour le Fitz Roy et le Cerro Torre, ou plus précisément pour le point de vue sur le Fitz Roy et le Cerro Torre, restons humbles… Départ tardif pour monter au camping le plus proche du fameux Mont. Nous sommes les derniers, ou presque, à arriver au milieu de dizaines de tentes. Pendant que nous plantons la nôtre, Leïla et Célestin se lancent dans les grands travaux : construction de table, chaises, bancs et circuit pour courir.

Nous, nous couchons sous un ciel étoilé… pour nous réveiller sous le même ciel étoilé. Petite côtelette nocturne pour arriver en même temps que les premières lumières sur le Fitz Roy. Pas de rose, les nuages dans la plaine empêchant les rayons du soleil de venir réchauffer le rocher. Ça n’en reste pas moins magique !

Ensuite, redescente, suivie d’une traversée pour aller camper au plus près du Cerro Torre cette fois. Nouveau réveil matinal pour lever de soleil à cinq minutes de la tente. Nous avons la chance de pouvoir prendre notre petit déjeuner baignés par une belle lumière orangée face à la montagne préférée de Florent !

Puis c’est la descente finale pour une arrivée dans le vent d’El Chalten ! Nous changeons de rue pour ne pas nous faire fouetter par le sable. Carnage au camping, un paquet de tentes sont complètement en vrac. A nous de trouver une place relativement abritée au milieu de tout ce quilombo…

Deux jours de repos pour laisser passer le vent et la pluie, pour faire la classe et manger des glaces, pour profiter de la salle commune, bondée, du camping. Petit coup d’œil à la ronde,  à nous quatre nous sommes dans la moyenne d’age : 25 ans ! Nous avons même le plaisir de retrouver Amélie, Julien, Anae et Meloe, pour le plus grand bonheur des enfants!

Nouvelle fenêtre météo : nous refaisons les sacs et laissons à nouveau vélos et sacoches chez Mariana qui quelques jours plus tôt nous avait gentiment proposé de garder nos affaires chez elle.

Cette fois nous partons pour le passo d’El Viento, le bien nommé… Il y a douze ans, ce fameux vent ne nous avait pas laissé dépasser le rocher à la sortie du campement, le col était alors resté pour nous un endroit impossible à rejoindre. Cette fois nous y croyons. Nous montons d’un bon pas. Petite pause sur les rochers, craque le pantalon. Célestin se marre en voyant ma culotte léopards. Flo sort le gros scotch gris pour que les félins ne s’échappent pas. Établissement du campement à l’abri dans la forêt. La cabane est toujours là, aussi petite que dans notre souvenir, et manifestement les souris aussi ! Nous plongeons dans nos duvets car une grande journée nous attend.

Pour monter au paso del viento deux passages rigolos, le premier : une tyrolienne. L’épreuve précédente ayant été de louer des baudriers ajustables… dès que nous prononcions le mot  » enfant « , la réponse était  » non « . Même en leur démontrant l’inverse, preuves (légales et pratiques) en direct, c’était  » non, les baudriers ne sont pas faits pour les enfants « . Ils auraient tout aussi bien pu nous dire  » Non, les enfants ne vont pas en montagne « . Flo était donc retourné en boutique le lendemain, sans enfants. Et le voilà maintenant pendu au câble, sa fille entre les jambes, à passer au-dessus du torrent sous les applaudissements de la petite file des randonneurs. Une fois toute la famille de l’autre côté, nous poursuivons notre ascension pour arriver sur un glacier, suffisamment couvert de cailloux pour ne pas craindre les glissades. Leïla est contente ! Elle jalousait son frère depuis qu’elle savait qu’il avait été sur la Mer de glace avant sa naissance. Elle avait bien regardé la carte et avait repéré que nous allions passer près, voir sur des glaciers :  » Maman, regarde, là on peut aller sur le glacier « . Elle enjambe les crevasses sans appréhension et s’amuse avec son frère à jeter des cailloux dans les trous d’eau pour en estimer la profondeur. Nous poursuivons notre montée pour trouver des lacs d’altitude au col et basculer sur le campo de hielo sur, un immense champ de glace alimenté par les précipitations venues du Pacifique. Au fond, d’autres chaînes de montagnes qui semblent loin de toute exploration. C’est magnifique ! Nous restons un long moment devant ce paysage grandiose.

Puis c’est la longue redescente, le glacier, le pierrier et la tyrolienne, en solo pour les enfants cette fois, arrivée au camping et chute d’une dent de Célestin. Il écrit un mot à la petite souris… Au petit déjeuner, c’est au tour de Flo de perdre une dent… Le soir même, il va voir la petite souris du poste de santé, qui lui dit de revenir le lendemain à 7h, heures des urgences. Célestin se tourne vers moi avec un grand sourire « Maman, pour couper le turon, il faut attendre demain 7h… « 

La météo nous annonce à nouveau du vent, de la pluie, que du bonheur, hors de question de reprendre la route tout de suite. Nous profitons des accalmies pour aller nous balader aux pieds des falaises. Le camion de Patagonia est de passage dans le village, nous apportons pantalon et veste à ses couturières pour les faire réparer, parfait! Nous faisons même une petite séance ciné-montagne dans la salle d’escalade du club andino. On se sent presque comme à la maison !

11. De Puerto Natales à El Chalten

11. De Puerto Natales à El Chalten

28 décembre. Départ de Punta Arenas. Un peu chaotique. Ayant déjà fait le trajet Punta Arenas > Puerto Natales dans le bon sens (et au souvenir de la tête des cyclos que nous croisions), nous n’étions pas très motivés pour le refaire dans le mauvais sens. L’option bus nous a paru être la bonne. Nato, pour nous aider, a gentiment contacté un de ses amis transporteurs. Deux d’entre nous pouvaient monter dans le camion avec les vélos et toutes les sacoches tandis que les autres prendraient le bus. Parfait, en plus le chauffeur vient nous chercher au pied de l’immeuble! Départ prévu à 10h. Nous étions fin prêts. 10h30, rien. 11h, rien. 12h, une petite fourgonnette arrive. A peine de la place pour les quatre vélos et pas de siège pour aucun d’entre nous. Hors de question de laisser les vélos tout seuls. Pas par peur du vol, mais de la casse potentielle qui pourrait arriver par inadvertance. Le chauffeur propose de revenir dans l’après-midi avec un camion plus grand. Nous ne comprenons pas tout à l’organisation, pero bueno, on accepte ! L’après-midi passe, pas de nouvelles. Je cours attraper le bus de 17h30 avec les enfants et laisse Flo seul avec vélos et bagages et le risque que finalement aucun camion ne vienne… Mais si, un gros fourgon vide arrive. Perfecto. Mais non, c’est seulement pour rejoindre un entrepôt ou sacoches et vélos sont mis sur un autre gros camion. Flo essaye d’être de tous les côtés à la fois pour que les sangles qui maintiennent le chargement en équilibre n’écrasent pas nos vélos. Il réussit à sauver à peu près tout. De notre côté, nous traversons la pampa en fleur dans notre bus spiderman. Ça y’est c’est le printemps ! Les entrées des estancias se sont colorées de lupins rose, violet, bleu. Nous arrivons dans les lumières du soir à Puerto Natales. Il fait beau, presque chaud. Nous rejoignons la maison de Maria, notre hôte pour les jours à venir. Une fois de plus nous n’avions pas tout compris. Maria est vétérinaire, avant elle habitait dans cette maison où nous allons dormir, aujourd’hui elle vit dans un petit appartement contigu à son cabinet. Deux australiens ont loué une des deux chambres de la maison. Ils devraient arriver vers 22h30. Maria part s’occuper de ses patients poilus. Un camion arrive. C’est Flo! Déchargement des vélos dans la nuit qui tombe. Les Australiens arrivent. Après une semaine de rando, ils ouvrent de grands yeux ronds devant tout ce remue ménage. Quelques minutes plus tard, le calme est revenu, Maria aussi. Notre bazar est dans un coin de la maison et de l’eau chauffe pour tout le monde. Pfou quelle journée ! Il est plus facile de rester sur nos vélos !

1 janvier. Nous reprenons les vélos pour de bon. Direction le parc Torres del Paine. Petit arrêt à la grotte du Milodon, un animal préhistorique dont des ossements ont été retrouvés ici. Cette région a été l’une des plus riches du monde en grands mammifères préhistoriques, avant que tout le monde disparaisse il y a 11.000 ans. Pourquoi ? Sans doute la faute à l’arrivée des êtres humains et à un changement climatique. Après la grotte, fin de l’asphalte. Bonheur de retrouver le ripio, la tôle ondulée, la poussière… Nous nous échappons de la piste pour aller camper sur l’herbe grasse. Les premières étoiles sortent, ça faisait longtemps que nous n’avions pas vu la nuit !

Au matin, retour sur la piste. Beaux paysages sous le soleil, mais la route se fait un peu longue. Flo crève une fois, deux fois. Le pneu a plus de 10 ans, la chambre à air a sans doute plus de 50.000km et déjà 18 réparations. Ceci explique sans doute cela… Il commence à se faire tard, les rivières dessinées sur la carte sont absentes du paysage. Sans eau il nous faut poursuivre. Leïla en a marre des côtes. Elle maudit les ingénieurs chiliens sur 10 générations ! Dans un virage, un petit bout de forêt où se mettre à l’abri du vent. Sauf qu’il n’y a pas d’eau. État des réserves : 1,5l. Tant pis nous nous arrêtons et nous demanderons aux voitures…qui ne passent pas. Un moteur arrive enfin, pas d’eau. Un deuxième, une camionnette qui ravitaille un des hôtels. Il nous laisse quatre petites bouteilles prises sur sa cargaison, davantage ça se verrait. Troisième moteur : un fond de gourde. Nous allons survivre ! Un peu plus tard, quatrième moteur : c’est en fait le troisième qui revient après avoir été faire le plein d’eau pour nous. Tip, top les grimpeurs ! La soirée sera plus tranquille.

Entrée magnifique dans le parc Torres del Paine. Il fait gris, le bleu du lac en est d’autant plus beau. Les fameuses « Cuernas » jouent à cache-cache dans les nuages. Le ripio est difficile, raide, encore. Nous abandonnons l’idée de traverser le parc dans la journée. Pause au premier camping et balade au Cerro Condor. Ça vente fort la-haut ! Célestin s’essaye à la wingsuit immobile : « Une minute ça va, plus longtemps c’est trop difficile ! « .

Traversée du parc dure, dure. Le ripio est difficile, les pentes toujours à la mode chilienne, près de 1000m de dénivelé sur une piste censée longer le lac… Les cuernas sont belles même dans le brouillard, mais ça reste éprouvant. Fin de journée, nous entrons dans l’univers étrange du parc : un centre de bienvenue privé qui ressemble à un terminal de bus de luxe. Déphasage total avec la journée que nous venons de passer ! Au camping; les jeunes nous laissent nous installer sans avoir réservé, ouf ! Les douches sont chaudes, ça fait beaucoup de bien !

5 Janvier. Réveil 6h. Les enfants se lèvent tôt presque sans râler ! Nous avons prévu de faire la rando la plus courue du parc : Mirador Cerro Torre. Nous montons tranquillement, avant l’arrivée des bus. Quelques personnes sont déjà dans la redescente, déçues : les nuages leur ont caché les lumières du lever de soleil sur les Tours. Belle arrivée en haut, au bord du lac. On attend que les tours se découvrent. Le vent pousse les nuages. Les gens arrivent petit à petit. Deux heures après, nous nous retournons, des centaines de personnes sont là ! Et il en arrive encore quand nous attaquons la redescente ! Retour tôt à la tente. C’est agréable de finir la journée à 16h30. Ça laisse le temps de faire la lessive…
A la nuit tombée un chat sauvage se faufile dans le camping. Il nous laisse le suivre.

7 janvier. Belle sortie du parc. Cette fois c’est le soleil qui allume le bleu du lac avec en fond les massifs que nous venons de quitter. Et pour notre bonheur la route est asphaltée ! Quand il y a des travaux, nous avons le droit de rouler sur le bandeau de béton fraîchement tiré. Décidément, on adore ces pistes cyclables! Mais attention, virage et paf le vent fait son retour, en pleine face. Ouch, ça fait mal ! Vite, repas à l’abri dans l’abri-bus ! Allez, on repart. Ouch, pas diminué le vent. Tenir jusqu’au prochain virage, deux kilomètres à serrer les dents. Virage à gauche, vent de côté. Deuxième virage à gauche, vent de dos, Haha, trop cool ! Nous filons jusqu’à Cerro Castillo. Petite pause goûter pour fêter les 3.000 kilomètres et ça y’est nous entrons dans la ville du Far west, ou Far east chilien, ou, enfin, bon, bref, un village soumis aux vents qui fait siffler les fils électriques, s’envoler les sacs de courses et les cyclos un peu endormis. Nous plantons la tente dans le parc à jeux : deux rangées de palissade de 5m et plein d’arbres pour se protéger d’Eole ! Nous dévalisons l’étagère à légumes de l’épicerie : 21 carottes, 4 oignons et 9 oranges.

8 janvier. Nuit dans le vent. Réveil dans le vent. Journée dans le vent. De dos pour passer la frontière. De côte sur le ripio pourri du côté argentin. C’est dur. Leila maudit la terre entière. Une fois l’asphalte retrouvé, elle me dit tout sourire : “Cette fois tu ne peux pas me gronder parce que je mange mes cheveux, c’est la faute au vent!”. Encore deux trois virages avec le vent de côté, et ça y’est nous l’avons de dos. Nous nous envolons, mais il ne faut pas s’arrêter, ça caille trop! Nous passons devant un panneau qui indique une école. C’est toujours étonnant, et rassurant, de voir qu’il y a des écoles partout, même au milieu d’une pampa où nous ne voyons aucune habitation!

Nous nous arrêtons pour la nuit au carrefour Tapi Haike, derrière les bâtiments de la police et du service des routes. Il y a douze ans, nous y avions partagé un asado mémorable avec les travailleurs. Aujourd’hui les visages sont plus fermés, trop de trafic de cyclos? Heureusement il y a toujours de l’eau et de quoi camper à l’abri du vent.

Turrón au dessert, et paf le pouce ! Belle coupure. La gourmandise me perdra… Flo veut me recoudre. Je suis moyennement motivé à l’idée d’être sa première patiente… Du coup il m’envoie au poste de santé le plus proche,  à 80 km, à Esperanza. Une bétaillère s’arrête et m’embarque. La pampa est belle sous les lumières du soir. Mon chauffeur n’est pas bavard, ça me va. Je suis fatiguée et me demande ce que je fais là. Les pensées volent. Esperanza, joli nom. A l’arrivée, hormis la station service, tout semble être fermé, même le poste de santé. Je sonne sans y croire, et miracle, quelqu’un vient m’ouvrir. Un premier gars, puis un deuxième regarde ma coupure, cherche je ne sais quoi dans tous les placards. Un troisième arrive “Excusez-moi, j’étais sous la douche”. Il regarde. Pas de points, zone trop fragile. Argentine 1ère, France 2eme. Haha, vive le foot! Je me retrouve avec un beau gros pansement et merci au revoir. Je tente le stop au carrefour. La nuit tombe. Une seule voiture passe s’en s’arrêter. La nuit se fait noire, le froid arrive. Je vais à la station service et remonte dans une bétaillère, vide cette fois, avec un chauffeur plus loquace, nous discutons de la vie dans la pampa, la vie de famille, politique, le réchaud pour chauffer l’eau du mate bien calé entre nos sièges. Arrivée à minuit trente, Flo m’attend sous un ciel étoilé et dans un vent glacial.

9 janvier. Départ plus tard que souhaité (faute au turron…). Il vente déjà fort. Deux options : un raccourci par un ripio avec vent plutôt favorable ou un détour par l’asphalte avec 80km de vent de dos et 90 de face. On se lance sur la ripio. Enfin on tente. Malgré l’aide du vent, la piste est difficile, très, trop. Le porte bagage avant de Flo casse (Guy, tu aura du boulot  à notre retour!). Le chef regrette notre choix. La petite voix de Leïla de ce matin se faufile dans notre tête : “Mais pourquoi on fait pas le détour? On va tranquille jusqu’à Esperanza et après on fait du stop. Facile!”. Popopopo. On croise un couple de catalan. Malgré le vent de face, ils ont une pêche d’enfer et remontent le moral des troupes en brieffant les enfants sur les pizzas, burgers et glace qu’ils devront réclamer à El Calafate! On arrive à avancer. Le ripio s’améliore, un peu, et le vent nous aide de plus en plus. Les paysages sont magnifiques et grand ouverts. Mais pourquoi cette impression de liberté décuplée ? Il n’y a pas de barbelés! Ça change toute la vision du monde! Le regard va loin. Les condors s’amusent du vent. Nous atteignons notre objectif du jour : un poste de police… abandonné. Quelle idée d’en avoir mis un là ! Ça devait être la punition suprême! Comme souvent de nombreux dessins et mots couvrent les murs. Ici depuis 2017, 2018, 2019. Date de fermeture du poste ou date de développement du voyage à vélo dans ces contrées?

10 janvier. Pas de vent au lever. Ça fait du bien! Le ripio est plutôt bon. Nous avançons bien et rejoignons l’asphalte à 11h, en même temps que le vent qui forcit… Face à nous, un autre bâtiment de la vialidad. Nous décidons de nous arrêter là. Le vent de côté sera trop dangereux l’après-midi. La personne d’astreinte nous laisse nous reposer dans l’immense garage, comme tous les autres cyclos. Nous le sentons blasé des deux roues. L’après-midi, il sort en soufflant avec son bidon d’eau quand il voit 5 cyclos italiens arriver. Drôle d’ambiance. Nous faisons l’école à l’abri du vent. Leila poursuit son cours de géométrie en faisant des bricolages. Flo s’occupe de tous les cyclos qui passent. Les cinq derniers restent dormir comme nous dans le garage. Le cantonnier vient passer un peu de temps avec nous. En cette fin de journée, il est beaucoup plus détendu et souriant! Tout le monde se couche juste avant le démarrage du groupe électrogène. Les ronflements ne risquent pas de couvrir le bruit, mais les yeux se ferment quand même. Il faudra se lever tôt demain pour échapper au vent.

11 janvier. Réveil à 4h30 pour partir à 6h. Le petit monde des cyclos se lève doucement. Les enfants arrivent même à se motiver pour voir le ciel tout rose! Les belges sont les premiers à partir, vers le sud et le ripio. Peu de temps après, nous prenons la route du nord et de l’asphalte. C’est étonnamment calme. Légère brise aidante, pas de circulation. La pampa se réveille tranquillement, se dore au soleil. Les guanacos nous suivent du regard. Le Fitz Roy apparaît au fond. La route se réveille à son tour. Doucement elle aussi. Une voiture après l’autre. Un camion après un bus. Grande descente vers un lac bleu turquoise qui semble posé au milieu du désert. Pause pique-nique à l’oasis près de la rivière. 13h. Toujours pas de vent. Nous décidons de repartir plutôt que de planter la tente. Mal nous en pris. Le vent forci, comme prévu. Mais maintenant il nous faut arriver jusqu’à El Calafate, pas d’abri, pas d’eau avant. Nous arrivons au carrefour de l’aéroport. En plus du goûter, nous mangeons le pique-nique du lendemain pour faire le plein d’énergie et braver les courants aériens sur les 15 kilomètres qu’il nous reste à faire. La famille se met en file indienne, pas un cheveux ne dépasse et nous arrivons enfin en ville! Célestin est fière, c’est notre plus grosse journée : 100km! Bon, mais on espère ne pas en faire trop des comme ça…

El Calafate. Pause de quelques jours. Pauses glaces, au pluriel… Pause glacier, au singulier, le gros, le Perito Moreno. Les enfants sont impressionnés par les séracs qui tombent dans le lac. Eux qui rêvaient de marche sur glace se rendent compte que ce n’est pas si évident… Pause copains. Une famille française arrive au camping, Julien, Amélie et leurs filles Anae et Meloe sont aussi en voyage pour un an, sac au dos, entre Amérique du sud et Asie. Les enfants sont les plus heureux du monde! Ils ne veulent plus partir, mais il nous faut reprendre la route, avec la promesse de se revoir dans quelques jours.

15 janvier. Dernier petit déjeuner collectif, derniers jeux, dernière course de pain. 15h, on enfourche les vélos et c’est le retour dans la pampa. Vent de dos, récompense après l’aller! Nous sommes dans le flux, pas de bruit, pas de froid. Carrefour, virage à gauche et paf le vent. Quelques kilomètres à rouler penchés et pause de la tente au bord de la rivière. Un couple de kayakiste se prépare pour rejoindre l’Atlantique. Des cyclos se sont mis à l’abri du vent derrière des bâtiments abandonnés.

On le sait, pour ces derniers jours avant El Chalten, il va nous falloir jongler avec le vent, viser les points d’eau, trouver les bons abris pour camper. Nous avons tous les mêmes, ou presque. Nous retrouvons Marion et Lucas à la fameuse maison rose, un ancien hôtel abandonné. Ils nous ont rattrapés puis dépassés. Quelques kilomètres plus loin, plein d’eau à l’auberge de la Serena. Ambiance surréaliste, tous les bus touristiques qui vont d’El Calafate à El Chalten s’y arrêtent. Bain de foule avant de retourner dans le désert!

Pédaler contre le vent. Une voiture s’arrête, le chauffeur sort nous prendre en photo. Flo le force à écouter une partie de notre histoire. Il n’en a rien à faire et remonte vite dans sa voiture. Nous sommes devenus nous aussi une attraction touristique, comme les guanacos, bon pour la photo, c’est tout, case cochée.

Nouveau refuge, nouvel abri à cyclos. Il est midi. Ce qui nous attend c’est 90km de vent de face pour rejoindre El Chalten. Grosse flemme. Plus on attend, plus le vent forci. Les cylos passent, s’arrêtent, repartent, vers le sud, grisés par le vent de dos. Nous discutons avec Maxime. Il est sur la route depuis deux ans et demi. Parti d’Alaska, il s’envolera vers l’Afrique après avoir rejoint Ushuaia. Nous sommes claqués du vent, de la lumière, de la sécheresse et El Chalten ne semble plus être le lieu de repos idéalisé, mais serait devenu un village touristique surpeuplé où les tentes se touchent les unes les autres. Nous n’avons pas bougé du refuge. La lune se lève sur un Fitz Roy dénudé. Elle a la tête en bas. A moins que ce ne soit nous?

Lever tôt, le ciel est teinté de rose. Célestin est d’excellente humeur! Les parents voient que le vent souffle toujours… Départ. File indienne. Célestin en oublie de zigzaguer et arrive à tenir la ligne droite derrière son père. Leila “s’accroche” à moi. Midi, rivière. Objectif 1 réussi. Des voitures arrivent, conciliabules de gauchos? Un troupeau de chevaux arrive à son tour. Les deux gars nous expliquent : les chevaux partis le matin de Tres Lagos, à 90km, vont à l’estancia un peu plus loin pour profiter de pâturages plus verdoyants. Il nous propose de camper à l’estancia, à l’abri du vent. Nous nous renseignons sur la suite de la route, l’eau et les abris entre la ferme et El Chalten. Il nous regarde en rigolant : “Après? No hay nada, puro Eol!”. Ok, on sait ou dormir ce soir, on ira pas plus loin cette fois!

Le lendemain, nous prenons la route à 8h. Le vent est déjà là. 2km en 30 minutes. Stop, demi-tour. Retour à l’estancia en 2 minutes… École à l’abri du vent.

Surlendemain, nous prenons la route à 6h. Lever du soleil sur un Fitz Roy tout nu de nuages, il en est tout rose pour dix minutes! Le vent nous laisse avancer, pas trop vite quand même, il faut profiter du paysage. Il y a douze ans nous n’avions rien vu de ce massif alors pris dans la grisaille. Cette fois, nous en prenons plein les yeux! Et ça y’est nous arrivons à El Chalten. Nous avons réussi à faire ces derniers 90km ! Ceux qui vont vers le sud les parcourent en 3h, ceux qui vont vers le nord les font en 2 ou 3 jours… Il ne nous reste plus qu’à trouver une place dans un camping à l’abri du vent…

9. Terre de Feu

9. Terre de Feu

Dimanche 3 décembre. Départ pour Porvenir. Faux départ. Le ferry est complet. Nous commençons à nous installer dans le terminal vide tout passager. Séchage du linge devant les radiateurs, école sur les bancs, repérage de la pelouse pour planter la tente ce soir, quand Nato passe nous voir. Retour à la maison! Bonheur d’un dernier tour à la piscine. Humm, l’eau chaude.

Lundi 4 décembre. Vrai départ (nous avons nos billets cette fois!). Traversée du détroit de Magellan sous un ciel incroyable! Les nuages qui se forment sur les montagnes avant de venir sur la mer transforment le ciel en un tableau magnifique. Sur le bateau deux autres cyclos : Annie et Pascale, partie du Canada, ils sont en route pour Ushuaïa.

Nous posons les pieds en Terre de Feu, Il vente. De plus en plus fort. La côte est belle. Le vent nous aide sur ce ripio pas facile. Virage au nord. Aille ça se corse. J’essaie de protéger Leila des bourrasques, tout en essayant de ne pas me projeter sur elle. Pas facile. Ni pour l’une, ni pour l’autre. Le soir arrive. Le vent ne faiblit pas. Pas vraiment d’endroit où planter la tente ici, pas vraiment d’eau non plus. Nous sautons la barrière d’une estancia vide d’habitants. Flo va demander de l’eau au voisin. Un cochon pend à un crochet. Une dizaine de chiens lui sautent dessus. Le gars est entier. Comme cette terre. Il nous donne le peu d’eau qu’il lui reste de sa dernière virée à Porvenir. Après maintes tergiversations, nous décidons de nous mettre à l’abri contre un des murs de l’estancia. Si les proprios débarquent, nous leur expliquerons qu’il n’y avait pas vraiment le choix…

Nous nous réveillons. Soleil. Nous nous préparons. La pluie commence à tomber. Flo sort. Grand ciel bleu, mais de la neige au pied de la tente. Nous plions l’intérieur, il se remet à pluineger. Nous déjeunons sous la tente, grand bleu. C’est à ne rien y comprendre. Une chose est sûre, le vent, lui, est toujours là! Il ne nous quitte pas de la journée. Il est plutôt de dos et avec une moyenne de 70/80 km/h, on arrive à faire des pointes à 30 km/h sur le ripio sans pédaler! C’est cool! Mais fatigant et on ne quitte pas les doudounes de la journée.

Après 110 km de piste, ça y’est nous rejoignons l’asphalte ! Enfin le refuge du carrefour. Un abri construit sous le gouvernement Bachelet. A l’origine, il y avait tables, bancs, étage où dormir à deux (ou quatre un peu serre), toilettes sèches et même un poêle! Aujourd’hui, la plupart de ces refuges ont été vandalisés, certains sont inutilisables, d’autres continuent d’accueillir les cyclos en manque d’abri protégé du vent. C’est notre cas ce soir. On en profite pour éduquer les automobilistes qui viennent se soulager à l’abri du vent contre le mur du refuge…

Mardi 6 décembre. Aujourd’hui nous avons décidé d’aller voir les pingouins, enfin les manchots. “Petit” aller-retour de 15 km sur piste. Facile, si il n’y avait pas ce bbrrr de vent ! Du coup, on se lève tôt car on sait que ce ne sera pas facile justement, et ça ne l’est pas. Vent de face, de côté. Leila chute plusieurs fois. Elle maudit le vent (et sans doute aussi ses parents…). Nous finissons par arriver en avance pour la visite et nous nous abritons derrière la porte fermée (le proprio du terrain sur lequel se sont installés les manchots a clôturé les lieux pour protéger les bestiaux et organise des visites guidées d’une heure top chrono). La porte s’ouvre, lavage des semelles pour ne pas contaminer les lieux… Et ça y’est nous voyons ces fameux pinguinos. Ils sont beaux ! Normal ce sont des rois. Ils ressemblent aux empereurs, mais contrairement à leurs cousins, ils ne vivent pas en Antarctique. Les ados sont en pleine mue. Ils se font rabrouer par les adultes quand ils essayent d’intégrer les groupes de paroles. Un petit groupe part à la pêche, cahin-caha, vers la plage. Ça vente, ça caille. Nous nous demandons quand même ce qu’ils fichent là! Mais nous, nous sommes bien contents d’avoir réussi à venir jusqu’ici pour les voir !

Retour avec le vent, un poil plus aidant, mais ce n’est pas non plus la fête. Nouvelles chutes sous le regard des guanacos. Ouf, retour au refuge et … arrivée sur le goudron!

Cap à l’est, vent de dos ! Ça file comme jamais ! Pas de trafic (nous apprendrons plus tard qu’à cause du vent, les ferrys n’ont pas pu faire les traversées pour la Terre de Feu ce jour-là), les guanacos broutent tranquilles sous le soleil, la pampa se pare de magnifiques couleurs. Nous faisons du 35km/h sur le plat sans donner un coup de pédale ! Le rêve!! Pause goûter tardive dans un nouveau refuge, seul abri possible avant la frontière à 30 km. On reste? On continue? Deux cyclos arrivent, Paul le polonais et Brice le breton, ils arrivent de Provenir, partis à 11h30 ce matin, nous en sommes à notre troisième jours… C’est décidé, on continue! C’est magique. Les enfants se prennent pour des supers héros avec leurs VEE, vélos à énergie éolienne ! C’est trop coooool le vélo!

Arrivée au poste frontalier argentin. Le gendarme : “l’hosteria c’est par ici, la salle d’attente, gratuite, chauffée avec cuisinière et douche chaude c’est par là, vous pouvez laisser vos vélos dehors, on est là toute la nuit”, “Et pour les papiers?” “ha oui, c’est par ici”. 10 ans après, les souvenirs reviennent. Déjà à l’époque la douche des filles ne fonctionnait pas, celle des gars fermait mal. Le bonheur d’avoir un endroit au chaud après tant de froid est toujours le même. Célestin nous dit : “ce matin je m’imaginais un camion vide pour transporter les brebis. Hop, on met les vélos dedans, contre les bottes de paille. Il nous emmène aux manchots et on revient au carrefour avec. Sauf que ça c’est pas passé comme prévu.” Et non, nous avons fait près de 90 km, dont 30 km de ripio abominable et 60 km de pure bonheur !

Fou rire en voyant des prises au plafond de la salle d’attente : “Comment ils font pour recharger leur téléphone ? Ils sautent? Ils appellent les pompiers?”

Le lendemain, le vent aide toujours et la circulation est toujours aussi faible. Nous pouvons nous amuser, discuter côte à côte, faire des travellings sans les mains, regarder les puits de pétrole disséminés dans la pampa, les gazoducs qui la traversent. Puis on arrive dans la ville, la grande, Rio Grande. C’est la fête de l’illumination de l’arbre, avec jeux, concerts, churros. Les enfants sont perdus ! Trop de contraste avec les derniers jours. L’arbre en question est celui de noël. Un sapin. Comme il n’y en a pas ici, chaque ville et chaque village en fabrique un avec des guirlandes accrochées à un poteau central. D’où l’illumination de l’arbre. Nous en voyons aussi en bouteilles, pneus, planches, etc. Et alors que nous sommes censés être en plein été, il y a des bonnets rouges et des bonhommes de neige un peu partout. Vive la mondialisation !

Mais ce soir nous ne restons pas. L’illumination se fait à la tombée de la nuit, et la nuit elle tombe bien trop tard sous ces latitudes. Nous filons chez Jose, notre hôte ici. Nous n’avions pas bien compris, mais Jose habite chez sa compagne et laisse sa petite maison aux cyclos de passage. Et des cyclos, il y en a un paquet qui passent par ici ! Certains ont même tendance à rester un peu plus que de raisons, sans forcément s’occuper de la maison… Les enfants découvrent l’ambiance “casa de ciclista”. Nous serons 11 le dernier soir autour de l’asado, à venir d’un peu partout : Espagne, Canada, Chili, Argentine, France. Il y a ceux qui vont au nord, ceux qui vont au sud.

Il est temps de reprendre la route, direction le sud pour nous. Vent de face. On ne peut pas toujours avoir de la chance. Virage, le vent tourne avec nous. “C’est l’arnaque” nous dit Leila. “En plus, ce matin, il faisait grand beau et maintenant c’est tout gris”. De fait, de magnifiques nuages couvrent la pampa et nous sommes contents de ne pas être en dessous! Il est vite l’heure de chercher un endroit où planter la tente à l’abri du vent. Premier stop pour demander de l’eau, un grand gaillard au fort accent russe remplit nos gourdes. Pas vraiment avenant le gars. Nous poursuivons notre route sans rien demander de plus. Bientôt une estancia. Nous y avions dormi il y a dix ans. Souvenir d’une très bonne soirée. Aujourd’hui, le proprio ne veut plus des cyclos. Mauvaises expériences? Abus? La faute aux applications et réseaux sociaux qui référencent les lieux de bivouacs, mais aussi les lieux de rencontre qui devraient rester propre à chacun? En tout cas, son père est désolé de ne pouvoir nous aider, le jeune stagiaire aussi, et nous, nous sommes désolés de la tournure que prennent les voyages. Nous continuons. Le soleil se couche après 23h. Les journées peuvent s’étendre sans danger, mais pas sans fatigue. Ça commence à tirer et toujours pas un arbre ou une bosse derrière laquelle s’abriter. Enfin un semblant de forêt. Un camping, fermé, cadenassé. Une dame arrive. Le camping est fermé, oui, mais pas pour les cyclos chahutés par le vent, ouf! Elle cherche avec nous le meilleur endroit pour planter la tente, puis finit par nous proposer un cabanon et allume le poêle d’une cuisine extérieure. Toutes les mains s’y réchauffent. Un couple d’amis sort. “Mais je vous connais! Je vous ai vu sur Instagram!”,”Quelle notoriété!” Une vidéo réalisée par la gérante d’un camping au nord de Concepcion a fait le tour du Chili et s’en est même allée du côté de l’Argentine, du Brésil et de l’Uruguay. Pour toutes ces personnes qui demandaient comment nous suivre, nous avons créé un compte Instagram (Terre_de_paysages). Nous avouons ne pas être encore au top, plus à l’aise sur nos vélos que sur les réseaux…

Leila nous le fait remarquer : “Nous ne sommes plus dans la pampa, il y a des arbres!”. Les paysages changent en atteignant le sud de la Terre de Feu, plus boisés, plus montagneux, des lacs. Les journées sont plus grises aussi, un peu longuettes parfois. Des portes s’ouvrent. Celle de la boulangerie de Tolhuin qui accueillent depuis très longtemps les cyclos dans sa réserve au sous-sol, celle de la protection civile, grand sourire, qui met les enfants au chaud. “Trop chaud” d’après Célestin. “Ils mettent le chauffage à fond et ouvrent les fenêtres!!”. Dix ans plus tard, nous n’arrivons toujours pas à nous faire aux brûleurs de gazinières qui restent allumés sans casserole dessus. Par réflexe, nous continuons de les fermer…

Dernier col avant Ushuaïa. Giboulée de neige au sommet! Petite pluie dans la descente. Refuge sous les devantures des bâtiments fermes de la station de ski. Nous errons parmi les ouvriers qui s’occupent de la maintenance, construisent nouveaux hôtels et cabanas de luxe. Un renard de Patagonie nous regarde planter la tente sur les pelouses grasses de l’école de ski. 22h30, il fait encore jour. Difficile de se coucher tôt et de garder un rythme “normal”. Il fait froid comme en hiver, mais jour comme en été, drôle de noël en perspective!

Ushuaïa! Ça y’est nous y sommes! Nous n’avions pas prévu de venir jusqu’ici et nous sommes contents d’y être arrivés! Fin del mundo. A la fois si loin, et si proche. C’est la première fois depuis quatre mois que nous reconnaissons aussi bien les lieux. L’atmosphère, la sensation d’arriver au bout du monde sans pour autant que ce soit la fin. Nous ne pouvons nous empêcher d’aller sur les pontons voir s’il y a possibilité de continuer plus au sud….

Canal de Beagle. Zone de friction entre l’Argentine et le Chili. Il y a une douzaine d’années, un ferry avait été mis en place pour relier Ushuaïa, argentine, et l’île Navarino, chilienne. Depuis le covid, il ne fonctionne plus. Les autorités chiliennes ne veulent plus non plus des traversées commerciales en petite lancha. Restent les traversées officieuses, ou la chance de rencontrer un équipage prêt à nous emmener. Flo y croit, et il a raison! La chance nous sourit : Igor accepte de nous embarquer! Nous avons quelques jours pour nous reposer, fêter un anniversaire (Nous avions fêté ici les 30 ans d’Aurélie, nous y fêtons cette fois les 44 de Flo, aux enfants d’écrire la suite s’ ils le souhaitent…), et visiter le musée de la prison d’Ushuaïa.

Muséographie particulière : chaque petite cellule constitue une petite salle. Et des petites cellules, il y en a beaucoup. Il était un temps ou les prisons servent à coloniser les territoires où personne n’avait vraiment envie de s’installer. Ces cellules racontent tout ça, les expéditions navales, la flore, la faune, la création de la ville, son développement, les natifs, ces peuplent “qui n’ont pas su se faire à la culture des colons”. Une frise chronologique numérique se termine sur une photo de partie de chasse, la légende précise “Chasseurs de natifs”. Point. Il m’a fallu un temps pour réaliser ce que j’avais sous les yeux. Une histoire qui se termine sur une chasse aux populations locales sans aucune remise en question. A Bariloche, le musée de la ville, si il n’avait pas encore revu ses expositions, interpellait le visiteur par des pancartes sur cette façon de construire l’histoire : “Peux-t-on résumer un peuple à ses outils ? » ; « Colonisation : premier génocide sud-américain » ; « Pourquoi les femmes sont-elles absentes de cette salle? » ; « Non, ces terres n’étaient pas des déserts.” Ici, rien. Les salésiens se montrent en médiateurs entre des colons qui ne comprennent rien aux populations locales et des populations locales trop heureuses de pouvoir chasser des moutons parqués. Envie de coup de gueule. Envie de crier, de pleurer. Stop. D’une colonisation à l’autre, rien ne change. D’une guerre à l’autre, tout est pareil. Ici, la-bas, pourquoi ce besoin d’écraser l’autre, le faire disparaître, puis parler de désert. Il n’y avait rien avant, nous avons tout fait. Mensonge. Je ne peux plus voir ces photos figées, coupe au bol, ces habits porteurs de mort. Mal. Culpabilité. Ces colons, européens, c’est moi, c’est nous.

6. Petit tour en Argentine

6. Petit tour en Argentine

21 octobre. Premier jour en Argentine. Anniversaire de Leïla. Nous lui avons promis des thermes pour son anniversaire. Sauvages cette fois. Bon, il va falloir grimper sur une piste de ripio. Ça va pas être facile, mais ça vaut le coup. Motivés à bloc, nous attaquons la côte en pleine chaleur de l’après-midi (oui ça existe!!) et paf : une barrière. La piste est fermée. Flo va se renseigner à la ferme que nous venons de passer. Oui, il y a une barrière, mais ça passe, pas de problème. Une voiture arrive. C’est un garde. Non, ça ne passe pas. Il y a des travaux, des arbres qui peuvent tomber, des études de la faune et de la flore. Nous ne savons pas trop qui des ouvriers ou des animaux il ne faut pas déranger, mais en résumé, ça ne passe pas. Pour nous changer les idées, il nous indique un camping au bord du lac et la balade à la cascade. Célestin lui en veut à mort ! Il en fera des caricatures pour exorciser son mécontentement ! A la fin de la journée, les enfants concluent que c’était tout de même un anniversaire de luxe : le camping au bord du lac (rien d’autre qu’un grand champ, mais dans un petit écrin), le repas demandé par Leïla (purée mousseline et gâteau, facile), des bougies (jusqu’au dernier moment, elle a cru que ses parents aller une nouvelle fois botter en touche en arguant que « désolé, mais tu sais c’est compliqué, on fera mieux l’année prochaine… « ) et même des cadeaux. Alors là « les parents, ils ont complètement craqué, un « immense » cerf-volant et deux doudous ! « . Et nous avons même réussi à capter un bout de réseaux chilien pour recevoir la vidéo du pote Félix. Le comble du bonheur !

Nous sommes bien ici. État des lieux des réserves, c’est bon nous pouvons rester une journée de plus. Les moutons nous rendent visite le matin, une vache et son veau assistent à la leçon du jour (car oui, ne l’oublions pas, nous suivons – tentons de suivre – le programme scolaire). Petite douche avec l’eau de la rivière réchauffée au soleil. Célestin part aux toilettes de l’autre côté de la petite plaine. 5 minutes, 10 minutes, 20 minutes, personne. Ça commence à faire long pour sa séance de méditation quotidienne. Flo va voir ce qu’il se passe. Célestin n’ose pas sortir de l’algeco, des oiseaux lui crient dessus. Flo se fait attaquer à son tour par une dizaine de volatiles. Il court se réfugier avec Célestin. A deux, ils reprennent courage. Sortir, traverser la plaine en courant, se protéger la tête avec les mains. Ouf, ils sont passés! Ça fait un moment que ces oiseaux nous cassent les oreilles au bord de la route. On leur trouvait bien un regard fourbe, mais jusqu’à maintenant ils ne nous avaient pas attaqué. Désormais, nous allons nous méfier, il paraît qu’ils ont même des griffes à la pliures des ailes, soit disant pour protéger leur nid…

Il nous faut quitter notre petit coin de paradis. Reprendre la route. Rejoindre les épiceries de San Martin de los Andes. C’est plus facile qu’au Chili. Les pentes sont moins raides. Les adultes ont enfin l’impression d’avancer. Les enfants trouvent ça ennuyant. Ils en ont marre, marre, marre. Leïla a mal aux mains. Célestin râle, même s’il avance très bien. Quand nous nous arrêtons le soir, toute fatigue apparente disparaît et il faut les appeler à plusieurs reprises pour qu’ils quittent leur chantier du jour et viennent manger !

A San Martin, nous faisons enfin la connaissance de Marion, Gabriel, Youlah et Polyme. Comme nous, ils sont partis de Santiago pour un an de vélo en Amérique du sud. Cela fait plusieurs semaines que nous entendons parler d’eux, que l’on suit plus ou moins la même route, que l’on se dépasse, se rattrape, sans jamais être au même endroit au même moment. Mais ça y’est on peut enfin se raconter nos histoires de cyclos autour d’une glace et d’un bon plat de pâtes !

Nous partons sur la route des 7 lacs, version argentine cette fois. Bien plus connue. La pente est douce. Nous avalons les 5oo mètres de dénivelé goudronné. Leïla de s’exclamer « c’est ça la grande cote, mais c’est rien du tout !! « . Nous passons de lacs en lacs. Les montagnes enneigées nous dominent. Le ciel se couvre, le froid arrive… Lever tôt ce deuxième jour afin d’éviter au maximum les 70km/h de vent de face et la pluie sur les 50km qu’il nous reste pour rejoindre Villa la Angustura. Objectif n°1 réussi : plier la tente au sec. Objectif n°2 : abandonné au bout d’une demi-heure. La pluie se fait de plus en plus présente. J’enfile vite mon pantalon de pluie. Les enfants ont été équipés dès le lever. Les chaussures sont vite trempées, les gants également. Le froid se faufile partout. Dans les descentes, nous regrettons les côtes. Pause pour se réchauffer. Courir, ne pas s’arrêter. Pas d’abri. Rester en mouvement. C’est dur. Ça craque. Ça avance. Patator. Un renard gris nous regarde. Pas de pique-nique avant la ville. Pas un membre de l’équipe n’a envie de s’arrêter dans ces conditions. Des téléphones nous filment. Extraterrestres pas vraiment amphibies. Garder l’énergie, le morale, pour un, deux, trois, quatre. On court, on pédale. Même dans les descentes. Ça fait circuler le sang (t’y crois vraiment à ces bobards !?!). [A noter dans la liste des choses à faire : récupérer des textes de chansons et les apprendre pour se donner du courage, Hissez les voiles !]. Dernière descente sur la ville. Les patins sont à bout. Les freins ne répondent plus. Il faut tirer sur le câble [A noter : apprendre à faire du vélo sans les mains (sur le guidon)]. Ouf, ça y’est c’est plat. Tournée des auberges, tout est complet. Il pleut toujours. Errance au milieu des chocolateries et location de ski et vtt. Appart’hôtel? On prend ! Objectif n°3 atteint : arrivée avant midi, enfin avant le repas de midi, et avant la tempête, la vraie. Les enfants ont vite retrouvé la forme avec les degrés. Ils sont prêts à repartir pour 50 nouveaux kilomètres avant le soir ! Mais non, nous nous octroyons un ou deux jours de pause pour organiser nos petites vacances : des vacances sans vélos à la recherche du soleil, une escapade du côté de l’Atlantique pour aller voir les baleines et faire de la rando dans les alentours de Bariloche.

Dimanche, réveil sous la neige ! Rejoindre la gare routière avec dix centimètres de neige humide devient épique. Nos vélos ne sont pas vraiment faits pour ça. Eux aussi avaient pris l’option maillots de bain ! Le col frontalier Samore est fermé. Les chiliens venus passer le week-end en Argentine sont bloqués ici. C’est la ruée vers les hébergements. A peine sommes-nous sortis du nôtre qu’une famille prend notre place. Demi-tour impossible. Heureusement la jeune femme de la gare routiere ne prend pas peur en nous voyant arriver. Elle nous accueille à bras ouverts et gardera nos vélos aussi longtemps que durera notre escapade. Elle rigole même en voyant la flaque s’agrandir sous nos bécanes. Nous filons à Bariloche où nous passons la nuit au Cinerama. Ombres et lumières, les enfants se prennent pour des réalisateurs avec les lampes de chevet.

Nous avons une journée avant de prendre le bus de nuit pour rejoindre la côte atlantique. Sur le toit de la maison du parc une banderole nous interpelle “Les gardes-parc ne sont pas responsables des intemperies”. Quelques heures plus tard, l’explication nous sera donnée par des gardes en grève. Il y a quelques années deux jeunes ont campé ou se sont baladés un jour de tempête. Une branche leur est tombé dessus. Accident malheureux. Famille, Etat, assurances, les premiers ont finalement reconnus que le parc ne pouvait être tenu pour responsable. Les derniers sans doute pas. En tout cas, un troisième procès doit se tenir pour décider de la responsabilité des gardes en charge du secteur…

Fin d’après-midi, nous prenons le bus. Quinze heures pour traverser le pays d’ouest en est. La pampa enneigée est magnifique sous les lumières du soir.

Puerto Madryn. L’océan. Grand soleil. Nous ne sortons pas les maillots de bain, mais tout ceci nous réchauffe bien. Péninsule Valdez. Un lieu qui nous a longtemps fait rêver. On nous l’a souvent décrit comme le paradis des animaux marins. Leila a laissé son doudou-baleine dans son lit à la maison. Nous l’emmenons voir des vraies. Nous voyons les premières depuis la plage puis nous embarquons pour aller les voir de plus près. Touristes parmi les touristes, ça reste magique. Ballet de cétacés, pas de deux, sauts et frappes de la nageoire en rythme. Nos petits d’hommes ont les yeux écarquillés, les parents ne sont pas en reste ! Sur la plage règnent les lions de mer. Ils ont gros, ont l’air patauds, et pourtant quelle agilité quand il s’agit de sortir de l’eau et grimper les rochers. Les mâles sont moins gracieux lorsqu’ils se laissent tomber au milieu des femelles. Pousse-toi de la que je m’y mette. On irait bien leur tirer les moustaches à ces machos à crinières ! A quelques kilomètres ce sont les éléphants de mer qui prennent un bain de soleil. Alors eux, ils ont vraiment une sale tête et avec leurs toutes petites pattes avant ils ont pas l’air bien dégourdis. D’ailleurs c’est à peine si ils bougent un orteil quand la marée monte. Il y a aussi quelques manchots de magellan. Ils semblent un peu perdus. Est-ce que les autres ne sont pas arrivés ? Déjà repartis ? On dirait presque des automates posés devant les panneaux. Dans la lumière du soir, une ile, l’ile aux oiseaux, sa forme aurait inspiré à Saint-Exupery son dessin du chapeau-éléphant dans Le Petit Prince.

Retour à Bariloche. Enfin nous voyons les montagnes autour du lac. Pas mal la vue depuis le skate-parc et le pump-track !

Nous partons en balade avec Eugenia et Liliana. Jolie entrée dans le massif. Au retour de rando, Liliana nous fait goûter le maté. Même sucré ça reste trop amer pour les enfants qui ne peuvent s’empêcher de faire la grimace. Le mari de Liliana est géologue, il nous sort une toute petite partie de sa collection : feuilles, arbres et graines fossilisées, pointes de flèches et de lances, boules de chasse, outils pour tanner, etc. Les enfants courts dehors tailler les cailloux !

Le lendemain, on écoute la météo et… on monte au bistrot ! Direction le refuge Frey. Au bout de quelques kilomètres, Célestin nous demande “Lequel de vous deux a eu l’idée de se balader sous la pluie ??”. Allez mon gars, en haut il y aura de la neige. Et de fait, arrivée au col et au lac, dans la neige et le vent. C’est chouette cette ambiance de presque haute montagne, ces roches qui nous surplombent, mais des aiguilles nous n’en verrons que la base…

Retour en bus à Villa la Angostura. Les vélos n’ont pas bougé. Le temps de vider les sacs à dos dans les sacoches et c’est parti pour les courses. Une famille de cyclos déjeune : deux tandem-pinos avec enfants de 5 et 9 ans. Ils viennent de Grande-Bretagne, sont partis de Santiago et vont vers le sud. Tiens, tiens.

Superbe journée pour reprendre les vélos direction le col et passage frontalier Samore. Nous découvrons tout ce que nous n’avons pas vu à l’aller : lacs, montagnes, rivières. Leila : “Il reste 20km, facile c’est juste 10+10 !”. Les enfants partent devant. Vont-ils nous attendre au col ? Les paysages s’ouvrent. La forêt est brûlée, pétrifiée par les éruptions volcaniques du siècle dernier. Désert de cendre. Au col, des gens arrivent à ski de rando. Ils nous l’avouent, il ne reste plus beaucoup de neige. Ouf!

Retrouvaille au poste frontière. Tant du côté argentin que chilien, nous retrouvons les douanières du paso Huahum !