Puerto Natales. Nous laissons passer le gros coup de vent et partons sous une petite pluie, grise. Ça caille! La pluie cesse. Le vent forcit. Nous l’avons de dos puis de côté. Les enfants apprennent à pédaler penchés. [Petit exercice : les cyclistes vont vers le sud, ils penchent sur leur droite. D’où vient le vent ?] Les paysages s’ouvrent, montagnes enneigées en toile de fond. Véritable bouffée d’oxygène. Le soir nous cherchons un endroit à l’abri du vent, pas évident dans cette pampa bordée de barbelés. Nous allons toquer à la porte d’une estancia pour demander à dormir à l’abri des arbres. Les travailleurs nous donnent de l’eau et nous laissent profiter d’une belle pelouse au bord de la lagune. Le lendemain le dueño arrive. Il nous ouvre la porte des toilettes, mais surtout nous parle d’une route plus au sud, celle qui doit rejoindre Yendegaia. Yendegaia, fjord côté chilien du sud de la Terre de Feu, au bord du canal Beagle, au pied de la cordillère Darwin, à quelques kilomètres d’Ushuaïa. Estancia uniquement accessible par bateau. Aujourd’hui. Car depuis longtemps il y a un projet de route pour la relier au reste du Chili. A priori, la piste ne s’arrêterait désormais qu’à 50km du lieu et nous savons que sur demande un ferry peut s’y arrêter pour embarquer des passagers. Alors nous nous mettons à rêver… Imaginer un sentier pour rejoindre ce bout du monde dont nous avions eu connaissance il y a 10 ans. Il y en a forcément un ! Ne serait-ce que pour étudier le tracé de la route…

Le vent de côté forcit. Les cyclos penchent dangereusement. Les abribus à l’architecture si caractéristique sont les bienvenus pour s’abriter d’une averse, pour s’abriter du vent. Les paysages sont grands ouverts. Lignes droites dans la plaine. Sentiment de liberté. Respirer. Enfin. Voyager à vélo prend tout son sens ici. Avoir le sentiment d’aller jusqu’où nous porte le regard. Les automobilistes trouvent le paysage monotone. Nous y voyons couleurs, estancias au loin, des milliers de brebis et leurs petits, mais aussi guanacos, nandous, flamands roses, oies sauvages, lièvres à grandes oreilles et même tatous et mouffettes !
Nuit chez les carabineros, les gendarmes. Ils nous ouvrent une maison non-utilisée. Faveur pour les enfants. Parce que d’habitude les cyclos campent de l’autre côté de la route. Serait-on devenu trop nombreux à chercher où camper ?
Tehuelche. Petite pause. Des deux roues arrivent. C’est Diego et son pote Théo ! Diego, cyclo belge avec qui nous avions passé une soirée bien plus au nord, à la sortie du parc Conguillio. Haha ! Nous l’avons doublé! Ok, nous avons pris un ferry sur plus de 2.000km… C’est rigolo de le revoir. Ils sont à fond, ont quitté Puerto Natales le matin à 11h et projettent de rejoindre Punta Arenas le soir même ! Il nous faudra 4 jours ! Après les 400g de pâtes par repas, le coup du pick-up et les distances parcourues aujourd’hui, Diego devient définitivement notre héros familial ! Célestin projette de l’inscrire aux grandes courses Transcontinentales. Le Tour de France étant évidemment trop petit.

Nous croisons des dizaines de camping-car de voyageurs. Si ils sont de formats très variés, du pick-up avec module aux gros camions 4×4, tous arborent le même autocollant. Est-ce une caravane des temps moderne ? Une arrivée de cargo ?

Punta Arenas. Petite averse de neige humide avant d’entrer en ville. Nous passons au musée naval. Reproduction des bateaux emblématiques de la région : celui de Magellan, de Fitz Roy, etc. Les enfants se prennent pour des conquistadors. Il y a également la chaloupe avec laquelle Shackleton a réussi à rejoindre la Géorgie du Sud depuis la péninsule Antarctique après que son navire, L’Endurance, se soit fait prendre et détruire par les glaces. Voir la taille de l’embarcation aux vues de la traversée effectuée est juste incroyable !

Nous reprenons humblement nos petits vélos pour rejoindre un lieu au combien plus confortable : Nato nous attend et nous montre deux chambres avec lits et couettes. Les enfants sont aux anges ! Il y a même une douche chaude (ça, ils s’en fichent, sur le coup en tout cas) et un truc de fou : une piscine chauffée au rez-de-chaussée de l’immeuble. Alors là c’est le paradis, la fête intégrale!! Nato sort des saumons de son congélo, nous sortons nos courgettes et notre riz pour accompagner. Il travaille dans une ferme à saumons. et nous précise qu’il ne mange pas le saumon de cette nouvelle ferme pour laquelle il travaille : trop d’antibiotiques donnés aux bêtes. Après le repas, il nous explique l’élevage : naissance des saumons dans les lacs, puis transport des bestiaux par camions et bateaux jusqu’aux fjords où ils grandiront par milliers dans des cages. A priori ils arrivent à nager… Quand ils atteignent la taille souhaitée, c’est l’heure de la cueillette : aspiration des saumons à l’aide de gros tuyaux. Ça fait beaucoup moins rêver tout d’un coup… Si à cela on ajoute le fait que les saumons et truites introduits ont pratiquement exterminé tous les autres poissons de rivière, nous nous sentons très proches des peintures murales disant “No a la salmonera”, “Aguas libres”. Mais Nato est lui, très généreux, et nous apprécions sincèrement tous les moments passés ensemble.