18. Argentine du nord – Quebrada Humahuaca
Mercredi 10 avril. Terminal du bus de Santiago. Démonter en partie les vélos, les protéger au maximum et partir négocier pour qu’ils partent avec nous. C’est pas gagné. Le préposé aux bagages ne veut pas en entendre parler, le chauffeur essaye de nous rassurer en souriant. A 5 minutes du départ, nous avons enfin le feu vert. Flo saute dans la soute et harnache nos montures. Puis c’est parti pour une nuit de bus avec passage de frontière à minuit.
Mendoza. Nous ne ferons pas la tournée des caves, ni même un petit tour sur la place centrale. Notre deuxième bus pour Salta part à midi. Lucas et Marion, que nous avions quitté à El Chalten, passent nous voir avant de sortir de la ville. Nous avons réussi à les rattraper ! En faisant plus de 2000 kilomètres en bus… Ils nous ont préparé des crêpes. C’est top !
Par contre c’est moins bien quand le chauffeur du bus pour Salta ne veut pas de nos vélos dans les soutes. Rien à faire, même si elles sont vides, même si il est bien noté sur le site internet de la compagnie que leurs bus peuvent prendre les vélos, il ne veut rien savoir et nous envoie vers le service de colis. Je monte dans le bus avec les enfants et tous les bagages et laisse Flo avec les quatre vélos en espérant qu’il n’y ait pas d’autres soucis…
Mendoza-Salta. Lignes droites. Maisons en terre, fours en terre, villages déglingues, pampa sèche aux pieds de la cordillère. Les poteaux électriques sont au sol. Soudain Célestin s’interroge “Mais il y a de l’eau ici ? » Des panneaux « Attention, vérifiez le niveau de l’eau avant de traverser ». Traverser quoi, le désert ?
Un monument : carcasses de voitures brûlées, alignements de pneus vers des cabanes également brûlées. Une piste cyclable longe la route sur une cinquantaine de kilomètres. Démarrée au milieu de nul part, elle s’arrête au milieu de nul part. Nous passons plusieurs « péages de sécurité agricole », Célestin : » On a l’impression de passer pleins de frontières ! » Régulièrement nous apercevons des gauchos à cheval, loin de tout. Dans la nuit, une autre famille française monte dans le bus : Armelle, Fabrice, Zoé et Aglaé qui ont 9 ans. On ira se poser dans la même auberge qu’eux. Parce que c’est plus facile quand on ne sait pas où aller, et surtout pour que les enfants jouent et que les parents aient des copains pour discuter ! Flo a pu envoyer les vélos par camion et prendre le bus du soir, il arrive quelques heures après nous. Les vélos, eux, arriveront dans 3, 4 ou 5 jours…
En attendant, on se balade en ville et on visite des musées en familles. Puis on reprend contact avec Myriam, chez qui nous avions passé quelques jours il y a 12 ans. Dans le salon, une photo de nous avec ses quatre filles. La plus jeune avait 3 ans, aujourd’hui elle en a quinze ! C’est chouette de passer du temps avec Myriam et ses deux dernières filles encore à la maison (pas seulement pour les BD que les enfants dévorent). On apprend, réapprend beaucoup de choses sur la région. On commence à entendre parler des changements opérés depuis l’élection de Milei… Les budgets aux écoles divisés par deux, les programmes de soutien aux petits paysans arrêtés du jour au lendemain, les salariés mis à la porte sans préavis, etc. Les années à venir s’annoncent difficiles…
Les vélos sont arrivés. Bonne nouvelle, ils sont entiers ! Porte-bagage un peu enfoncé, cadre un peu râpé, mais ça va.
Samedi 20 avril. Nous reprenons la route. Myriam nous accompagne sur les premiers kilomètres. Il fait beau, il fait chaud ! Nous montons doucement dans les yungas, passage d’un col et changement radical d’ambiance. La plaine sèche laisse la place à une vallée verdoyante à la végétation foisonnante. Il faut en profiter, ça ne va pas durer. A la nuit tombante, nous avons fait 70km, et les enfants sont encore en forme. Nous nous arrêtons au camping municipal. Il y a plein de dinosaures. Ils partent à la chasse. 23h, ils sont toujours surexcités ! Xabier, un cyclo basque, les regarde en souriant “ils ne sont jamais fatigués ?”. Pas souvent…
Le lendemain matin, les adultes discutent, les enfants sortent leurs lances pierres et repartent à la chasse. Nous partons un peu tard. Il fait chaud, très chaud. Nous ne sommes pas habitués. Une voiture nous double et s’arrête. C’est Leïla, Mathieu et leurs filles croisés au camping aux dauphins à Chaiten il y a un mois. C’est chouette et complètement improbable de les revoir !
Dimanche calme à San Salvador de Jujuy, capitale régionale. Magasins fermés, pas terrible pour les courses, mais jour de match de foot. Les deux plus grandes équipes du pays s’affrontent. Tout le monde est devant un écran. Parfait pour sortir de la ville !
Faux plat montant, impression de coller à la route. Nous longeons un campement militaire, un troupeau de lamas paisse sur la pelouse. Arrivée à Yala. Nous doublons une jeune fille à cheval, goûtons de tortillas au barbecue au bord de la route. Concert à l’entrée du camping. Groupe folklorique puis famille-musicienne en voyage. La jeune chanteuse, 14 ans, chante du rock, les danseurs sortent leurs mouchoirs. Gauchos et femmes en longues robes tournoient avec les gens plus simple. Pas de ségrégation, tout le monde peut faire la danse du mouchoir !
Lundi 22 avril. Départ dans la chaleur. Nous remontons doucement la vallée vers les cactus. Notre route croise à nouveau celle de Leïla et Mathieu qui reviennent à Salta ! Un peu plus de trafic, pas de bas-côté, nous faisons une échappée sur l’ancienne route, Leïla qui tirait la langue dans la montée, retrouve le sourire sur ce bout de ripio !
Pumamarca. Petit village touristique. Ça nous fait tout drôle. Maisons en terre, église au toit de cactus. C’est tranquille. Nous faisons la balade autour de la montagne aux 7 couleurs. Pique-nique sur la place centrale, à l’ombre, au frais, au milieu des piles de tissus et de ponchos.
Sur notre route nous visitons la puesta de los hornillos. Lieu stratégique pour tous les voyageurs descendant ou allant dans les Andes, depuis bien avant les incas, jusqu’au conquistadors qui ont construit ce caravansérail. Le vent de l’après-midi nous pousse, nous décidons de poursuivre jusqu’au MEC, Museo en los cerros.
Il y a des lieux où l’on se sent bien. Le Museo en los Cerros est de ceux-là. Nous y sommes montés à la nuit tombante, par une piste dont rien ne présageait qu’elle y mènerait… Aucun panneau n’indiquant la direction du musée… Les enfants ont émis bien des doutes en appuyant sur les pédales! Le vent nous a gentiment aidé et soudain, dans la nuit devenue noire, quelques lettres sont apparues : MEC, Museo en los cerros, nous y étions! Impossible de dormir dans l’enceinte du lieu. Nous avons fait demi-tour sur 100m pour planter notre tente dans le lit d’une rivière asséchée, sous le regard d’une lune bien ronde.
Le lendemain, le portail était ouvert et nous sommes entrés dans un lieu hors de notre temps. Un musée consacré à la photographie. Un bâtiment et une muséographie agréables. Une bibliothèque où l’on passerait des heures. Une invitation à prendre le temps d’écouter un compositeur local. Un environnement de cactus et de montagnes colorées. En partant, Célestin nous dit « Si un jour, nous allons vivre à l’étranger, ce pourrait être dans un lieu comme celui-là… »
Mercredi 24 avril. Tilcara. Nous passons à l’office de tourisme. On nous annonce qu’il y a une autre famille à vélo devant nous. Plus tard, on nous annoncera qu’ils sont derrière. Nous ne les verrons jamais.Visite du Pucara, une place forte huamaca puis inca, et du jardin de cactus. A nouveau, nous voulons profiter du vent de l’après-midi qui souffle dans le bon sens. Nous passons le tropique du capricorne de nuit… et partons à la recherche d’un improbable camping caché derrière une épicerie. La vue est belle sur ses hauteurs.
La route poursuit doucement son ascension vers les hauts plateaux boliviens. Le paysage s’ouvre devient plus agricole. Uquia. Visite de l’église qui abrite des tableaux d’archanges avec des arquebuses. Ils ressemblent plutôt à des aristocrates espagnols avec des ailes. Petite balade guidée dans un canyon, ambiance western.
Humahuaca. Journée de pause. Journée musée (on y a vu la photo d’une carte gravée dans la roche!), glaces et lessive !
Samedi 27 avril. Nous continuons de monter. Coup de chaud dans une côte un peu plus pentue que les autres, ou coup d’altitude?
Sur notre route nous croisons de nombreux sanctuaires. Souvent dédiés a San Expedito, patron des voyageurs, mais également à la Difunta Correa, une femme ayant tenté de traverser la pampa nord-argentine. La sécheresse l’a terrassée, on a retrouvé son enfant vivant, tétant toujours son sein pour lutter contre la soif. Il y a aussi le Gauchito Gil. Lui a déserté la guerre contre le Paraguay, ne voulant pas se battre contre ses amis guaranis. Il s’est fait Robin des bois, volant aux riches pour donner aux pauvres. L’armée l’a attrapé. Au juge qui l’a condamné à mort, il lui conseilla de partir très vite auprès de son fils malade. Le juge a sauté sur son cheval, chevauché nuit et jour, a trouvé son fils malade, l’a soigné, et est revenu au plus vite pour annuler la condamnation. Trop tard. Depuis le Gauchito Gil est adulé le long de toutes les routes d’Argentine (en tout cas celles que nous avons parcourues). Aujourd’hui, c’est une autre sorte de sanctuaire que nous découvrons… celui dédié à la mort… Sur la façade, un texte pour accompagner les personnes voyageant dans ces contrées hostiles, sans signature…
De plus en plus de cactus autour de nous, des vigognes au loin. Quelques ânes et chèvres nous regardent passer. Des pistes qui semblent partir vers nul part. Nous arrivons à Azul Pampa. Pas de lac bleu, mais un point d’eau et un terrain de foot abandonné où planter la tente. Horreur, sur le sol des graines bien pointues, mortelles pour nos pneus et matelas… Il faut faire le ménage avant de construire la maison et faire une révision des pneus. Des dizaines de graines y sont plantées… Flo devient livide “on aura jamais assez de rustines pour tout ça!”. Il abandonne, on verra demain pour les roues, et se lance dans la chasse aux graines sous la tente. Par expérience, le mieux dans ce cas, est de faire rouler un melon, mais nous n’avons que des tomates. Alors il prend un vieux matelas mousse pour cueillir nos ennemis. Quand il ressort, la soupe est prête et un magnifique ciel étoilé est apparu au-dessus de nos têtes.
Au réveil, pas de crevaison! Nous repartons en faisant très attention où nous mettons nos roues… Balade et visite de Inca Cueva, une baume abritant des peintures rupestres à 3 kilomètres de la route. Nous cachons les vélos à la vue des voitures et partons sur le sentier qui s’enfonce dans la vallée. Les plus vieux dessins ont plus de 12.000 ans. Ils racontent les lamas, le jaguar, le soleil. Puis viennent la domestication des lamas, les caravanes traversant les Andes, les guerres et les conquistadors, représentés sur les murs avant même leur venue dans la région, ainsi, personne n’a été étonné de les voir arriver. Sur le site, a été trouvée la plus vieille momie d’Amérique du sud, celle que nous avons vu prendre la poussière au musée de Humahuaca. Proche de la baume, un paysage étonnant : des lavognes cachées sur un mini-plateau, un arbre isolé au pied d’une falaise.
Le soir nous arrivons à Tres Cruces. Gros coup de vent de face. Mais que se passe-t-il?? Il est ou le gentil vent de dos ? Les gendarmes nous ouvrent une pièce dans un ancien logement de mineurs aujourd’hui vide. Par manque de minerais, la mine de cuivre a proximité va bientôt fermer. Pratiquement tout le monde est parti. La mine a laissé l’usage des bâtiments aux gendarmes qui contrôlent les voitures arrivant de Bolivie. Ils cherchent, entre autres, les feuilles de coca qui peuvent être vendues et consommées en Argentine, mais ne peuvent ni y être cultivées, ni importées. Quand on voit tout ce qui est vendu sur les marchés, il faut bien que les feuilles arrivent de quelque part… Petit coup d’œil à la météo. Un fort vent de face est annoncé dans 2 jours. Avant, un petit vent de dos matinal peut nous pousser et, si nous appuyons sur les pédales, nous aider a nous réfugier à Tupiza, en Bolivie.
Lundi 29 avril. Réveil à l’heure patagone pour une longue journée dans la puna, la pampa d’altitude. Le vent nous aide davantage que prévu et nous arrivons à faire les 100km, passer le point haut de cette route (3.780m), et rejoindre La Quiaca, ville frontalière. Nous sommes attendus au péage de l’entrée : Jorge, le gendarme qui nous a ouvert la porte la vieille, a prévenu de notre arrivée sur le FB du club de montagne de La Quiaca!
Sur la place centrale, la fille de l’Office de Tourisme sort pour nous proposer son aide. Des gamins viennent discuter et aimeraient bien embarquer Celestino dans leurs jeux, ou partir avec nous ! Des moments très sympathiques pour notre dernière soirée argentine!